Mon garçon, vivre, c'est oser.
Ils glissent, ils vont, ils viennent et virent.
Le patin de la fillette se détache
Elle trébuche et tombe comme un flocon de neige.
Le garçon l’a relevé, et là, où elle a mal,
Il pose un baiser
Elle rougit aux jolies choses qu’il lui dit ;
... Le patin se détache encore ;
Il le noue et le renoue,
Il demande et reçoit , il désire et il prend
Les patineurs partent, et la lune monte.
Et Conrad donne à Elsa son ruban
Et aussi une bague et un baiser ;
Mais emporta son cœur que jamais ne rendit.
En contrebas de grandes digues, l'osier vigoureux se dressait dans un sol lourd, drainé par les fossés boueux où pataugeaient des canards blancs; elle escalada le talus herbeux, et aussitôt un vent large et brillant pénétra ses vêtements, s'enroula à ses bras nus et joua dans sa chevelure. La marée montait, l'Escaut, à courtes vagues drues, bousculait les roseaux près des diguettes.
- Ne trouvez-vous pas, comtesse, quand on a longtemps désiré une chose et que tout à coup on l’a, on est désorienté ?
Je me rappelle tout ce que j'entendais dire des amours d'Orpha et de Louis, tout ce que j'observais moi-même. Mais je ne m'en souviens ni quand je le voudrais, ni comme je le voudrais.
C'est comme pour les morceaux de piano, dont on m'obligeait à étudier cent fois les passages difficiles. Il me suffit aujourd'hui d'en jouer les deux premières notes pour que mes doigts retrouvent le tout; - à condition de ne pas penser à ce que je fais, à condition, que ma main seule travaille.
Ainsi, quand maman me montrait le postillon de l'étoile bêta de la Grande Ourse, ou la nébuleuse d'Orion... j'écarquillais les yeux: je ne la vois pas maman? "Regarde à côté tu verras."
Pour percevoir l'histoire d'Orpha et de Louis, il me faut la chercher, non directement dans le passé, mais parmi les choses d'alors, c'est-à-dire dans ma vie d'enfant, au jardin de mon père, que Louis cultivait.
Que je retrouve deux ou trois notes, tout le trait suivra; que je regarde "à côté" et je verrai ces choses, comme le postillon de la Grande Ourse; que je saisisse une couleur, une saveur, une lumière de ce temps-là, et leur amour renaîtra de la mer chantante du passé, comme la buée du printemps en ce jour de mon enfance, comme Vénus, de l'écume. Je retrouverai leur histoire, comme on découvre la nébuleuse d'Orion par les claires nuits de gelée sans lune.
« Suzanne s’en allait naïvement vers ce qu’elle connaissait de plus beau ; le clair de lune sur le vieil-Escaut. Elle s’imaginait que cette splendeur la distrairait de la lourde souffrance qu’elle combattait. Elle ignorait combien une nuit lunaire, chaude et blanche, irrite l’amour chez les jeunes filles.
Ce pays noyé n’était qu’un grand miroir. Si on le regardait vers le couchant, il rougeoyait tout entier aux dernières lueurs du soleil ; si l’on se tournait vers le levant, tout, sous la leine lune montante, s’argentait. » (p. 114)
À ce tendre nom que lui donnait son pere, presque machinalement. sans rien dire, Suzanne lui tendit la joue ; mais il lui prit violemment les lèvres, comme quelqu’un qui meurt de soif.
Ah ! Oui... les baisers du soleil... les baisers du vent, de l’air, les fiançailles avec l’Escaut ... ce baiser, le premier que Suzanne reçut, lui causa un trouble semblable à la révélation de l’amour ; un trouble si puissant que tout à coup elle repoussa violemment le jeune homme et éclata en pleurs.
- Mais qui dois-je épouser, Joke? dit Suzanne dont les larmes s'arrêtaient.
- Quand vous serez amoureuse, vous ne me demanderez pas conseil.
- Alors, il vaut mieux me donner le conseil maintenant, Joke.
Il y a autant de vérités que de regards.
La rive herbue s'enfonçait dans la vase. Suzanne s'assit sur un tronc d'arbre où une dizaine d'enfants jouaient pieds nus. Elle contemplait les haies d'aubépine déjà rousses et l'immense nappe des étangs.