Les Figures de l'ombre (2017) - Le destin extraordinaire des trois scientifiques afro-américaines, avec Octavia Spencer, Kevin Costner - Bande annonce.
Dans le Sud, les bibliothèques, musées, laboratoires et collections scientifiques [des blancs] sont soit complètement fermés aux chercheurs noirs, soit partiellement accessibles et dans des conditions humiliantes.
Tout comme les îles - lieux isolés à la biodiversité unique et riche - revêtent une importance pour les autres écosytèmes de la planète, l'étude d'individus et d'événements apparemment isolés ou négligés révèle des liens et des éclairages inattendus pour l'époque contemporaine.
(extrait du prologue)
Comment un noir américain aurait pu observer l'anéantissement à l'oeuvre en Europe sans songer aux quatre siècles de lutte de ses ancêtres contre les privations, à la suppression de son droit de vote, à l'esclavage et à la violence?
Les ingénieurs n’étaient que la partie émergée de l’iceberg, car chacun d’eux requérait le soutien d’un certain nombre d’autres collègues : des artisans pour construire les maquettes des avions testées dans les souffleries, des mécaniciens pour entretenir les souffleries en question, et des petits génies en calcul mental pour traiter le déluge numérique issu de ces recherches. Portance et traînée, frottement et flux. Qu’est-ce qu’un avion, si ce n’est un faisceau de données physiques ? Et la physique est synonyme de mathématiques, et les mathématiques réclament des mathématiciens. Or, depuis le milieu de la décennie précédente, ces mathématiciens étaient des femmes. Le premier pôle de calcul féminin de Langley, créé en 1935, avait provoqué une tempête de protestations chez les hommes du laboratoire17. Comment des femmes pouvaient-elles s’attaquer à une matière aussi rigoureuse et aussi précise que les mathématiques ?
D'un bout à l'autre de la planète, des pays ayant récemment accédé à l'indépendance, désireux de nouer des alliances qui viendraient renforcer leur identité émergente, étaient confrontés à une autre version de cette même question que les noirs américains avaient pu se poser pendant le conflit mondial. Pourquoi une nation d'hommes à la peau noire ou brune unirait-elle son avenir sur le modèle de la démocratie américaine quand, à l'intérieur de leurs propres frontières, les Etats-Unis discriminaient et brutalisaient leurs semblables?
« Nous ne chanterons plus jamais ça » Cette chanson renforçait les stéréotypes les plus grossiers sur ce qu’un noir pouvait ou devait être. Parfois, elle ne l’ignorait pas, les batailles les plus importantes pour la préservation de la dignité, de la fierté et du progrès se livraient à travers les actes les plus simples. Pour les jeunes filles de la Troupe no 11, ce fut un moment fort. Mary ne détenait pas le pouvoir de libérer les filles des contraintes que la société leur imposait, mais il était de son devoir, estimait-elle, de contribuer à lever les restrictions qu’elles pourraient s’imposer à elles-mêmes. Leur peau foncée, leur sexe, leur statut économique — rien de tout cela ne constituait d’excuses acceptables pour s’empêcher de laisser libre cours à son imagination et à ses ambitions.
Leur but n'était pas de se distinguer par leurs différences, mais de s'intégrer grâce à leur talent.
Pour Dorothy Vaughan, la fin de la section de Calcul de la Zone Ouest fut un moment doux-amer. Il lui avait fallu huit ans pour atteindre le premier rang de ce bureau. Pendant les spets années qui suivirent, elle régna sur le plus inattendu des royaumes : une salle plein de mathématiciennes noires, menant des recherches dans le laboratoire aéronautique le plus prestigieux du monde. Gérer cette section avait permis de soutenir la carrière de femmes comme Katherine Goble, dont les contributions au programme spatial lui vaudraient la plus haut distinction civile d'Amérique. Les critères défendus par les femmes de Calcul Ouest ouvrirent des opportunités à une nouvelle génération de jeunes filles qui avaient la passion des mathématiques et des espoirs de carrière.
Noires ou blanches, de l’est ou de l’ouest, célibataires ou mariées, mères ou sans enfants, les femmes constituaient désormais un élément fondamental de tout le processus de la recherche aéronautique. Moins d’un an après la fin des hostilités, les annonces habituelles d’emplois vacants au sein du laboratoire, y compris pour des postes de calculatrices, refirent leur apparition dans le bulletin d’information. Alors que les Etats-Unis, après leur course effrénée vers la victoire, réduisaient la voilure de leur activité économique et que le laboratoire commençait à oublier qu’il avait un jour fonctionné sans ses calculatrices féminines, Dorothy eut le temps de réfléchir aux implications à long terme d’une carrière de mathématicienne.
Il y avait des emplois pour les noirs, et il y avait les bons emplois pour les noirs. Trier le linge à la blanchisserie, faire les lits dans les maisons des blancs, écoter les plants de tabac — c’étaient là des emplois pour les noirs. Posséder une échoppe de barbier ou un salon funéraire, travailler à la poste, ou sillonner les lignes de chemins de fer comme porteur des wagons Pullman — c’étaient de bons emplois pour les noirs. Enseignant, pasteur, docteur, avocat — il s’agissait là de très bons emplois, procurant la stabilité et la considération qui allaient de pair avec une formation universitaire.