Marcel Marnat :
Antonio VivaldiDepuis le
café "Le Rostand" à Paris,
Olivier BARROT s'entretient avec le biographe
Marcel MARNAT à l'occasion de la sortie de son livre intulé "
Antonio Vivaldi". Sur fond musical, celui-ci s'exprime sur l'
oubli dans lequel était tombé le compositeur
italien pendant deux ou trois siècles. Puis, il sexprime sur l'
art de l'invention propre à Vivaldi et sur la beauté de son oeuvre.
Le siècle de Michel-Ange n’avait pas nos scrupules. Masquer, pour complaire à notre mentalité, ce qui n’alarmait guère la société des XVe et XVIe siècles entraîne une perspective psychologique fausse. Voulant « grandir » Michel-Ange en l’aseptisant, on en a fait cet intellectuel bizarre dont la contemplation mystique aboutissait à des colosses qui, vu autrement, eussent paru suspects. Tel ne fut pas Buonarroti tout à la fois le mystique que l’on nous conte et un sensuel dont on ne veut rien dire. N’est-ce pas la seule honnêteté d’évoquer ce que l’œuvre écrite comme la création plastique n’ont cessé de crier ?
Pourtant cette simple entreprise semble proscrite.
Les décors de la Sixtine ont la nudité de l’éternel … Par sa variété proliférante, la gesticulation humaine semble annoncer toutes les passions imaginables et toujours en symboles fort clairs.
Ce retour aux premiers vagissements de l’espèce explique le désarroi de tant de commentateurs trébuchant sur le fait que l’érudite théologie ici mise en images le soit sous forme de nus en apparence si païens. Mais ce sont les humanistes qui avaient faut du nu une figure païenne. Comme Della Quercia, Michel-Ange se situe avant même que cette notion de paganisme soit apparue : au moment où l’homme, encore près de Dieu, va entamer une aventure définissant toute l’espèce et dont le paganisme n’est qu’une péripétie. La beauté musculaire que Michel-Ange répand sans souci au plafond d’une église nous étonne dans la mesure où nous avons tragiquement perdu le contact avec ce qu’il y a de sacré dans cette chair primordiale.
Michel-Ange semble avoir fait la connaissance de Tommaso Cavalieri en automne 1532. Vasari commente avec objectivité :
Par-dessus tous les autres, sans comparaison, il aima Tommaso dei Cavalieri, gentilhomme romain, jeune et passionné pour l’art. Il fit sur un carton son portrait grandeur nature, le seul portrait qu’il ait dessiné car il avait horreur de copier une personne vivante à moins qu’elle ne fût d’une incomparable beauté.
A l’époque, le « David » tranchait sur les figures plus féminines de Donatello ou de Verrocchio qui avaient précédé Michel-Ange dans le même sujet. C’est pour cette éloquence, ce naturalisme viril, que d’anciens savonaroliens vinrent le lapider. Il n’en demeure pas moins qu’oubliant un peu les rudes paysans de sa jeunesse, Michel-Ange use volontiers de la « divine proportion » afin de créer ce corps trop calme pour susciter un autre intérêt que –dirons-nous– laïque.
Erasme de Rotterdam arrivait, lui aussi, à Bologne où il restera un an, très bien vu par le pape. Si Michel-Ange avait été passionné par les discussions humanistes, il est probable qu’il se serait rapproché d’une si universelle réputation. Or, aucun texte ne mentionne la rencontre de ces deux hommes que tout aurait dû rapprocher (cf. les relations futures d’Erasme avec Dürer), si nous en croyons les thèses « humanisantes ».
Ça se répète sans arrêt, sans avoir besoin d'y changer quoi que ce soit, sauf l'orchestre. On arrive à des prolongations psychiques, mentales, absolument terrifiantes. Il est bien connu qu'à la création, il y a une dame qui s'est levé et à crié : "Au fou!" Ça me paraît un peu trop beau pour être vrai mais il y a de ça. Et Ravel aurait répondu : "Celle-là au moins, elle a compris!".
Ainsi, en pleine figuration chrétienne, Michel-Ange, avec une audace qui aurait pu lui valoir le bûcher, signifiait aux humains cette possibilité d’accéder au divin par l’amour humain, par le charnel. Et Michel-Ange insiste sur sa qualité d’apôtre de cette conception fracassante, se représentant lui-même en saint Barthélemy qui selon la tradition avait été écorché vif. Michel-Ange se montre entre saint Pierre et le Christ, la peau tombante présentant le visage de l’artiste. On ne s’aperçut de cette singulière effigie qu’au début de ce siècle et on n’y vit qu’un aspect du masochisme mystique qui l’avait ravagé quinze ans auparavant.
Ici une parenthèse un peu folle bien digne de l’époque : la Sublime Porte entretenait toujours avec Florence d’excellentes relations commerciales, la République n’ayant pas rompu l’entente si bruyamment inaugurée par Laurent le Magnifique. Comment le Grand Turc connut-il la gloire de Michel-Ange, comment s’y intéressa-t-il et sut-il seulement son différend avec le pape ? Il demeure que par l’intermédiaire du prieur de la communauté franciscaine installée sur les rives de Galata, Bajazet II fait savoir à Michel-Ange, sculpteur et peintre, qu’on souhaite lui faire construire un pont barrant la Corne d’Or et reliant ainsi l’ancienne Constantinople, devenue Stanbul, et l’actuel Beyoglu (...)
Mais Hayreddin venait d’achever, en cinq ans, la Mosquée de Bajazet qui allait fournir le modèle de toutes les mosquées à coupole, savant compromis entre le principe de Sainte-Sophie et les exigences de la pratique musulmane. On s’étonne dans ces conditions que Bajazet II ait tenu à faire venir un sculpteur en fuite (capable d’aviver encore la rivalité traditionnelle entre l’Eglise et le Turc) pour construire un pont destiné à poser, à un apprenti architecte, des problèmes insurmontable. (…)
Malgré ses sentiments chrétiens, Michel-Ange voulu pourtant accepter ce qui, à l’époque, eût passé pour une trahison suprême.
Quittant la cour des Médicis, il se fait apprécier du prieur de San Spirito, lequel lui procurera des corps abandonnés que l’artiste étudiera jusqu’à ce que leur putréfaction l’oblige à renoncer. De ces études serait né un »Crucifix » en bois, grandeur nature, aujourd’hui perdu. Il avait auparavant produit un grand « Hercule » qui devait disparaître en France après avoir été acheminé à Fontainebleau dans les collections de François 1er.
« J’entends par sculpture celle que l’on fait en ôtant (sculpture sur pierre). Celle que l’on fait en ajoutant (modelage pour une sculpture en bronze) est semblable à la peinture ».
Ce qui, chez ce sensuel pourtant, est l’équivalent d’une condamnation puisque, pour lui, « la peinture n’est bonne que lorsqu’elle fait penser au relief ». Cette façon de n’exister que par la seule illusion du regard est à ses yeux condamnables puisqu’elle n’atteint quelque présence, quelque chair, qu’avec l’intervention de notre imagination(1).
(1)Ici encore le relent satanique accolé à la cérébralité.
(…)
C’est un art à ses yeux total, seul capable de satisfaire à la fois l’esprit et la curiosité des sens. Mais Michel-Ange garde en tout une attitude érotico-mystique, face à la chose révélée : fouaillant le block il prétend aussi bien créer, sexuellement, la statue qu’il met à jour que la dégager d’un chaos élémentaire, avant lui en désordre. C’est pourquoi il se désintéresse de la sculpture modelée qui ne fait qu’élever sans risque matériel un volume dans l’espace vide.