Je l’aide à finir les derniers préparatifs, je coupe des champignons pour la salade. Les autres invités arrivent, l’appartement se remplit, parmi eux quelques collègues. Mon plan était bon : je suis déjà pompette quand on me demande comment je vais. Étrangement, j’ai l’air plus normal quand je suis un peu anesthésiée par l’alcool. Alors je bois. Ivre, je parle à tort et à travers pour dire à quel point je suis soulagée de ne plus travailler pour La Chronique, que je n’en pouvais plus d’illustrer des articles réactionnaires.
— Tu sais, dans le fond, ce n’est pas que le Lévrier puisse me causer du tort, qui me contrarie le plus. Ça me fait chier, c’est certain, mais ce qui me peine, c’est qu’il crache si facilement sur vingt ans d’amitié, qu’il s’abaisse à me trahir juste pour se faire bien voir des patrons. Je suis triste, pour lui, pour moi, pour ce monde où la dignité, la loyauté, la solidarité, ça ne veut plus rien dire, où la conscience s’achète.
Les héros, ils meurent , torturés. Soyons réalistes : il y a plus de résistants célèbres qui ont été pendus ou fusillés, qu’il n’y en a qui sont profité d’une douce retraite dans leur résidence secondaire avec vue sur la mer et piscine chauffée. Ils se font rares , les Jean Moulin avec chauffeur privé.
Les gens n’en ont rien à foutre de toucher des APL qu’ils reversent à leur propriétaire. Ce qu’ils veulent, c’est de la fierté. Ça , ça rend heureux.
Putain ! Ça arrive pour de vrai. Je ne rêve pas. Dufaye a explosé, des morceaux de sa cervelle sont sûrement encore accrochés au plafond de son appart’, son sang doit couler sur les murs. Des lambeaux de sa chair propulsés par l’explosion doivent commencer à pourrir.
Rivera, je penche pour Rivera. Depuis son arrivée, il y a trois ans, il n’a eu de cesse de vouloir conquérir du pouvoir, avec ses longs crocs qui rayent le parquet. Il manœuvre, il manigance, il essaie de monter dans la hiérarchie. Il est brutal et vicieux, sous ses bonnes manières. Un ambitieux, prêt à écraser la tête de n’importe qui pour accélérer son ascension. Quelle aubaine, pour lui, tous ces morts. Un assassin de sang-froid, voilà ce qu’il est. Avoir un droit de vie ou de mort sur les pauvres rédacteurs le faisait déjà bander, alors bonjour l’éjaculation putride quand il éviscère pour de vrai.
Le meurtre, voilà comment changer les choses. La mort fait entendre. Le couteau qui s'enfonce fait réfléchir. La chair qui s'ouvre, la douleur, la terreur insufflée par la peau qui se déchire font bien mieux évoluer les idées.