Loubna ABIDAR : "On m'appelle la dangereuse" TV 5 Monde
Devant ma glace, je danse. Ces danseuses orientales en noir et blanc, vues et revues sur l’écran de télévision, je passe des heures à imiter leur silhouette. Je me déhanche, me dandine, me tiens les hanches des deux mains, me tire les cheveux vers le haut en choucroute, les relâche d’un coup de nuque. Seule ma mère connaît le secret de cet entraienemenet sans relâche.
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Vous ne connaissez pas le hammam, vous les Françaises. Le vrai, je veux dire. Pour les femmes marocaines, le hammam c'est comme aller chez un psy, c'est le grand bain du corps et de l'esprit, une à deux fois par semaine . On y va pour se laver, on y va pour se parler, se vider, enlever tout le stress du quotidien et la saleté de nos hommes.
Je suis fière d'être une prostituée tel que vous l'entendez, messieurs les barbus. Une femme libre est une pute, une femme guerrière est une pute? Je vous l'annonce solennellement, droit dans les yeux: je suis une pute.
Loubna Abidar est l'incarnation d'une résistance. Le symbole de toutes les femmes que la tradition patriarcale, misogyne et machiste divise en deux catégories: les pures et les putes. Une femme qui montre son corps est une pute. Une femme qui parle de son corps est une pute. Une femme qui prend la parole est une pute. Une femme qui tient tête est une pute. Une femme qui a du plaisir est une pute. Une femme qui éprouve de l’amour est une pute. Une femme qui dit non à un homme est une pute. Une femme qui revendique sa liberté est une pute. Une femme qui est une femme est une pute. Toutes les femmes sont des putes.
La virginité, croyez-moi, c'est le plus gros mensonge du monde arabo-musulman. Et la chirurgie pour reconstituer l'hymen avant d'être offertes à leur mari, le plus indicible et le plus rentable des commerces.
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Le 5 novembre 2015, en sortant de la gare de Casablanca, Loubna Abidar se fait tabasser par un groupe d'hommes qui l'ont reconnue. Les cliniques où elle demande à se faire soigner, le visage en sang, refusent de la recevoir. Au commissariat, les policiers l'accueillent par des moqueries.
Le 5 novembre 2015, en sortant de la gare de Casablanca, Loubna Abidar se fait tabasser par un groupe d’hommes qui l’ont reconnue. Les cliniques où elle demande à se faire soigner, le visage en sang, refusent de la recevoir. Au commissariat, les policiers l’accueillent avec des moqueries. Le lendemain matin, elle fait sa valise, dit au revoir à son mari et à leur petite fille, part pour l’aéroport et prend le premier avion pour la France.
Sa faute ? Avoir osé incarner une prostituée au cinéma. Dans « Much Loved », du réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch, elle joue magistralement le rôle principal, celui de Noha, jeune femme de tête et de cœur qui mène comme elle peut sa vie de prostituée marocaine.
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Le voilà. j'entends la clé dans la serrure. Il ouvre la porte. Je me protège le visage, il me frappe. Il me suspend par les pieds. Cogne encore. Me brûle avec sa cigarette. Il a trop de haine. Assez de haine et de mépris pour me faire ce que les hommes peuvent faire à leur filles, à leurs nièces.
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Celle qui ose briser des tabous sur la nudité, la prostitution, le poids des traditions et du mensonge, renvoie à sa vérité une société qui infantilise les femmes, les dénigre et les utilise. À elle seule, elle est le miroir qui gêne, qui perturbe, qui affole. D’où son surnom : « Abidar la dangereuse ».
Être un échec pour la seule raison qu’on est une femme, c’est la première leçon que j’ai reçue.