Laurence Perrigault

La mise en scène participe de ce renouveau - Tchimoukow déborde d'imagination pour dynamiter les structures du théâtre et créer un langage dans l'espace et le mouvement. Dans La Famille tuyau de poile, par exemple, des acteurs s'installent dans le public, comme des spectateurs ayant pris leur place de location. Prévert, dans les didascalies, invite pour sa part les acteurs qui interprètent les agents de police assommés par les spectateurs à tomber « comme dans les comédies de Mack Sennett » - « the King of comedy» du burlesque muet américain. Mais c'est d'abord par la langue que passe cet humour, parce que c'est par elle que le monde bourgeois emprisonne le peuple. Si lon veut changer la société, revendique Prévert, il faut commencer par changer la langue. Octobre met donc en scène des personnages dont le discours, s'il fut savant, apparaît désormais comme totalement désaccordé et malade. Le dialogue s'avère impossible, avec des personnages qui se répondent sans se répondre et utilisent à l'envi, souvent en les mélangeant, clichés et formules toutes faites. La Bataille de Fontenoy reste la pièce la plus représentative de cette technique, avec des dialogues presque intégralement composés de citations détournées - maximes, vers de chansons, hymnes militaires, phrases d'hommes célebres et paroles d'Evangile... Le spectateur se retrouve enseveli sous une avalanche de bribes de discours hybridées, qui oblitère toute pensée logique :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux... des cieux... Ceux qui ne font pas d'omelette sans casser les ceufs ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie... Eh! Bonjour Monsieur du Corbeau... J'en connais d'immortels qui sont de purs sanglots... Fesse queue doigt... Advienne que pourri... Advienne que pourra... Tirez la bobinette la chevillette cherra... Et cætera! et cætera...»
D'un non-sens absolu, ces répliques montrent le chaos qui règne dans une société sur le déclin et dont les dernières répliques, énoncées dans les temples effondrés du savoir, apparaissent désormais ridicules et grotesques. En ce sens, le théâtre du groupe Octobre est révolutionnaire, dans la mesure où il se moque du langage du pouvoir, l'ébranle, le tourne en dérision, pour remettre en question tous ses présupposés. Le théâtre du groupe Octobre a une valeur de révélateur, « il fait tomber les masques, il découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie »

lci cela va on ne peut plus mal; je ne comprends rien à quelque chose, les majuscules, les étiquettes, les brevets, les erreurs judiciaires, le mour, la mour, lu mour, et les différentes manières de se conduire dans le "monde", je ne sais pas qui c'est, moi, le jury et les charmants amis patentés à charge, merde, merde....
P.S.: Naturellement la plupart de ces messieurs sont "indignés-fåchés-très- dignes"

Homme de paroles, Prévert semble donc prédisposé à la prose, mais, à vingt-neuf ans, il n'a toujours rien écrit. S'il se désigne régulièrement comme homme de lettres, il n'en reste pas moins méfiant à légard du livre. Il croit davantage en cette période au cinéma, seul art capable selon lui de donner aux hommes la possibilité de « se voir, se reconnaître, comprendre leur force et leur véritable "grandeur naturelle", et se lever, sortir, et s'unir pour Composer leur programme eux-mêmes

dans «Sans fards : chez les autres», Prévert raille les spectateurs cultivés des théâtres parisiens, qui savent par cœur deux ou trois formules, font des citations et apprécient les grands auteurs :
«Leur admiration est assez logique, la plupart de ces grands poètes ayant toujours eu pour mission de couvrir de leurs magnifiques alexandrins la voix désagréable de tous les meurt-de-faim, »