Tu souffres de ce qu'on appelle une "intempérie", c'est-à-dire que ta bile noire est en excès par rapport aux autres liquides de ton corps. Tu vois tout en noir, tu ne supportes rien ni personne et tu exiges trop des autres comme de toi-même.
Je pensais à certains de mes confrères qui cachaient leur ignorance derrière de savantes paroles latines, conscients que ce jargon en imposait, et qu'ils pourraient ainsi soutirer le plus d'argent possible à leurs malades. Oui, décidément, Jean-Baptiste avait bien saisi tous leurs petits ridicules et il les exposait là, sur la scène, avec un talent fou !
Au fond, je commence à penser que tu avais raison quand nous parlions de la comédie et de la tragédie : on peut dénoncer les mœurs de son siècle et les défauts des hommes, mais on peut aussi tenter de les corriger en riant. Je crois que, désormais, ce sera ma devise.
- Mais pourquoi te surcharges-tu de travail ? Tu excelles dans la comédie, tes pièces remplissent les salles, on t'en réclame d'autres... Pourquoi veux-tu absolument changer de genre ? Sous l'Antiquité aussi on jouait la comédie, regarde les oeuvres de Plaute, elles sont très drôles !
- Peut-être, mais la tragédie, c'est le genre noble ! La comédie, c'est la suite du théâtre de foire, tu vois, avec des répliques très populaires, parfois même indécentes. On ne prend jamais au sérieux les auteurs qui font rire, on les considère comme des amuseurs publics...
Un bruit étrange se fit entendre dans la ramure et le garçon leva les yeux vers l'impudent animal qui l'avait bombardé de glands. Un choc le terrassa. Au-dessus de lui, assis sur une branche, un être monstrueux, mi-homme, mi- bête, difforme et velu, le regardait en grimaçant. Pierre se signa tétanisé par la peur. Une créature du diable!
- L’or et le sang. La couleur du sable de l’arène. La vie de ton adversaire qui coule avec son sang. C'est un métier, petit, et ça, tu l’as ou tu l’as pas, avait-il lâché d’un seul trait.
Marcus secoua la tête à ce souvenir. C’était ce jour-là qu’il avait compris. L’envie de tuer, il ne l’avait jamais eu. Il avait vu cet éclat dur qui s’allumait dans les prunelles des combattants alors qu’ils entraient dans l’arène. Lui tremblait de peur, il fuyait les premiers coups échangés. L’envie de vaincre, ça, il l’avait ressentie. Mais pas celle de tuer, pas celle d’asséner un coup fatal. Il savait bien que les gladiateurs acceptaient ce principe : tuer ou être tué, jouer sa vie sur une feinte, jouir des acclamations de la foule pour un combat parfaitement magnifique. C’était cela qui se jouait dans la tête de ces hommes et qui lui restait étrangers. Lui, ce qu’il aimait, c’était… c’était quoi au fond ?
La question méritait un peu de réflexion. Marcus dessina du bout de sa sandale des cercles dans la poussière de la rue.
- Mais pour toi, qu'est-ce que c'est, le théâtre ? Tu as l'air si enthousiaste, si différente quand tu ...
- C'est la vie, et rien d'autre, l'interrompit-elle. Là, tu n'as vu que des bouts de scène, mais quand tu verras l'ensemble... Ça raconte le coeur, le courage, la peur, la lâcheté. La vie, en quelque sorte. "Totus mundus agit histrionem", Shakespeare répète ça souvent, ça veut dire en substance : "Le monde entier est un théâtre".
-"La douleur rebondit où elle tombe, non qu'elle soit vide et creuse, mais par l'effet de sa lourdeur", répondit lentement Alma. Si on croit ce qu'écrit Shakespeare, ta peine va finir par te quitter, justement parce qu'elle est très lourde.
Interdire un livre n'empêchera jamais les idées de se répandre.
Judith, comme pétrifiée, suivit des yeux chaque geste du bourreau qui, après avoir soigneusement tailladé la couverture et laissé de larges balafres sur les pages, prit enfin une torche pour mettre le feu à l'ouvrage. Les roulements des tambours, les cris exaltés des spectateurs hurlant "A mort les hérétiques !" se mêlaient en un infernal charivari.