Je rêve souvent de Carmel. Dans mes rêves elle marche toujours à reculons.
Le jour de sa naissance, le sol était couvert de neige. Un halo argenté nimbait la fenêtre tandis que je la serrais dans mes bras.
Lorsqu'elle était un peu plus grande, je l'avais surnommée « ma petite fille des bois ». Je ne l'imaginais pas vivre ailleurs qu'à la campagne. Ses épais cheveux bouclés se dressaient sur sa tête comme une touffe de pissenlits ou un verre qui vole en éclats.
« On dirait qu'on t'a trainée par les pieds dans un buisson », lui disais-je.
Elle me souriait en fermant les yeux. Ses paupières sillonnées d'infimes veines pourpres évoquaient deux papillons qui se seraient posés sur ses yeux.
« J'imagine la scène », disait-elle enfin en passant sa langue sur ses lèvres.
En regardant pas la fenêtre, je parviens presque à la revoir, remontant la rue pour aller à l'école avec ces collants rouge cerise qui moulaient ses jambes aussi fluettes que des bâtons de réglisse. Elle me manque tellement que j'ai l'impression dans ces moments-là qu'on vient de me trancher la gorge.
Je rêverai encore d'elle aujourd'hui, je le sais.
Combien de fois ai-je revécu ce qui s'est passé ensuite ? Combien de fois me suis-je repassé ce film en boucle, comme une cassette qui se rembobine sitôt achevée et repart au début ?
Dans la vie réelle les plus horribles drames peuvent susciter
une forme de fascination ou au contraire provoquer de la gêne.