La couverture est banale, mais le bandeau accrocheur, « un roman qu’on ne lâche pas. De la dynamite« , selon Stephen King, roi incontesté du thriller. Une simple phrase qui m’a poussé à découvrir ce roman… et quel roman !
Vanessa, 15 ans, quitte le domicile familial pour effectuer une année scolaire au lycée de Browick. Comme un avant-goût de liberté, elle découvre ce que peut lui réserver la vie universitaire. Au cours de cette année, elle suivra assidûment le cours de littérature proposé par le professeur Strane, un enseignement grisonnant, pas franchement joli, mais passionné par les mots qu’il enseigne. Il dégage une certaine aura qui va captiver Vanessa. Usant et abusant de sa culture, de son statut social, de sa prestance, il va tout doucement se rapprocher de la jeune fille, lui proférant à tour de bras des compliments désuets, lui prêtant des bouquins à découvrir, la faisant paraître comme une élève spéciale à ses yeux, différente des autres, plus intelligente. La jeune fille se laisser amadouer et l’interdit est franchi : malgré près de 30 années d’écart, Vanessa et Strane débutent une relation clandestine, interdite, qui pourrait mener à leur perte à tous les deux.
L’histoire est présentée à travers deux temporalités disjointes : en 2000, alors que Vanessa n’est encore qu’une enfant, puis en 2017, à un âge mûr. Une double progression intéressante à suivre, qui nous en apprend plus sur la psychologie de la jeune femme lors des événements et après. Car, bien des années plus tard, l’histoire qu’elle a vécue avec Strane continue à la poursuivre. Elle est contactée par Taylor Birch, une jeune femme qui a fréquenté le même lycée qu’elle, qui a subi des violences sexuelles de la part d’un de ses professeurs et qui cherche à tout prix à recueillir le témoignage de Vanessa, afin qu’elle appuie les peines qui surplombent Strane. Mais ce que Taylor Birch n’avait pas compris, c’est que Vanessa est très loin de se considérer comme une victime.
Vanessa est un personnage à la personnalité complexe, rendu encore plus difficile à cerner après les expériences qu’elle a vécues. En 2017, près de vingt ans après les faits, la jeune femme se sent toujours sous l’emprise de cette histoire qui la hante, la ronge, l’anéantie progressivement, sorte de poison d’amour qui envahie son âme sans s’évaporer. Strane aussi a son penchant de complexité : je l’ai trouvé bien lâche face à cette situation, grand manipulateur, être froid et clinique, très égoïste, qui ne m’a inspiré qu’aversion et dégoût. Leur duo, très improbable, dérange, questionne, affole les esprits, assaillis de questions sur leurs véritables intentions à tous les deux.
L’intrigue est construite autour de Lolita, ce récit de Vladimir Nabokov mondialement connu, qui met en scène Humbert Humbert, un professeur de littérature qui s’éprend d’une nymphette de 12 ans prénommée Dolorès, jeune fille insouciante, remplie d’innocence. Elle se fait abuser par cet homme, avant de finalement abuser de lui à son tour. Un schéma qui correspond parfaitement au duo formé par Vanessa et Strane dans ce récit de Kate Elizabeth Russell, deux êtres sombres, qui se détruisent mutuellement.
Dans Lolita comme dans Ma sombre Vanessa, il est question d’amour torturé, obsessionnel, de sentiments confus, mais intenses et purs. Alors que Taylor Birch assure haut et fort dans les médias avoir été abusée par Strane, Vanessa reste silencieuse, fidèle à la promesse qu’elle a faite à Strane des années plus tôt, de ne jamais dévoiler leur liaison. Mais derrière ce silence pesant, se cache en fait des sentiments bien plus complexes, que nous, pauvres lecteurs, sommes bien en peine de comprendre. Amour, aversion, attachement, colère, déception… tout se mélange pour former un amas psychologique complexe, qu’on peine à délier. L’auteure décortique avec précision les rouages de cette relation improbable, nous permettant de pénétrer dans le débat intérieur qui se joue en Vanessa.
C’est un récit qui dérange. On balance constamment entre la consternation face à cette situation inhabituelle et scandaleuse, face à certaines scènes difficiles à concevoir et pourtant bien réelles ; puis, à la consternation succède l’assentiment devant les preuves d’attachement évidentes qui existent entre Vanessa et son bourreau. Vanessa ne se sent pas victime de Strane ; on ne peut donc pas parler de pédophilie pure, puisque la jeune fille était consentante lors de leurs ébats. Là réside tout l’intérêt de ce récit, qui met en exerce la frontière très mince qui existe entre le consentement et l’abus, sexuel et psychologique. Une histoire brillamment écrite, éblouissante de réalisme mais perturbante au possible.
Un récit psychologique complexe sur le viol, le consentement, qui dérange et fascine tout à la fois. Construit en partie sur les fondements du Lolita de Nabokov, ce premier roman de Kate Elizabeth Russell est une franche réussite !
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