Les toilettes pour moi ont toujours été le lieu des grandes révélations, tel le désert pour les prophètes des temps bibliques, la forêt pour les féticheurs de T. Brava. Le lieu des grandes décisions, par le calme qui y règne, cette volupté de fin de chaîne alimentaire qui vous entraîne loin du monde et de ses futiles agitations.
Je n’avais rien fait de moi-même pour mériter cela, la vie s’en était chargée. Je veux dire, l’amour s’en était mêlé : l’amour de deux hommes pour la même femme. Laquelle femme l’avait choisi, me laissant inconsolé, meurtri à jamais.
À mon âge, le tri s’impose, quand on prend la plume, comme je le fais à cet instant, pour raconter l’essentiel d’une traversée. Vie d’avocat, vie d’apparat. J’ai fait ce métier parce que c’était la chose la plus facile que j’avais trouvé à faire. J’ai mis si peu de temps à découvrir la face chimérique de ma profession, que je me dois de souligner ce trait typique de ma nature : je suis un grand bavard – parler, je sais faire, des heures, sans tenir compte du point de vue de mon interlocuteur – mais surtout un paresseux, et le seul métier, m’avait dit Le Sage, que j’avais consulté après mon baccalauréat, était celui qui pouvait me permettre de conserver le gain tout en mettant à profit mon amour de la palabre.
L'esclavage est un outrage, un défi lancé à l'humanité, pourquoi tenter de s'en disculper ! Et s'il y avait une justice à rendre, c'est aux victimes qu'il faudrait la rendre, et non pas à leurs bourreaux.
Je préfère, la plupart du temps, la manipulation à la sincérité des sentiments. Je ne fais pas partie de cette bande de gens naïfs qui ont à la bouche les mots vertu et droiture, et sont incapables d’apprécier les circonstances dans lesquelles ces mots pourraient avoir à les mettre en porte-à-faux avec eux-mêmes.
La ville, c’était le lieu du grand show, les passages à la télé et sur les radios où Dieu se vendait entre deux pages publicitaires sur le riz et la tomate en conserve, l’assurance d’un nombre important de fidèles aux veillées de prière, donc la garantie de quêtes dominicales plus importantes, de dîmes fulgurantes versées par des cadres fortunés, pour l’érection de nouvelles chapelles. La ville, c’est quand même plus facile. Nettement plus facile si l’on se soucie de faire carrière, et de démontrer aux gogos que Dieu demeure un ascenseur social incomparable, et l’évangéliste lui-même le fumeur d’un opium dont l’odeur n’atteindra jamais les narines du pauvre abîmé dans sa prière cocorico.
L’indépendance nous avait rendus à notre nature réelle, celle de corrupteurs intrinsèques, de trafiquants de muselières, et surtout de conteurs à la langue pendue ayant rarement froid aux yeux. Ce n’était pourtant pas les mots pour décrire autrement les choses qui nous manquaient. Ce qui au final nous faisait défaut c’était une volonté réelle de se colleter à la réalité pour arriver à la décrire simplement, sans artifice.
A-t-on idée, oui je veux dire a-t-on idée de considérer les esclaves comme des êtres humains, des êtres normaux !
Désirer et aimer, convoiter la même femme n’est pas une situation sereine pour l’amitié entre deux hommes. Et de toute façon, dans l’affaire, je suis le chasseur qui a tout perdu, la proie et l’honneur !
La langue des autres nous sert de cache-misère, elle recèle autant de postures que de faussetés véritables. Elle nous permet de ne jamais étaler notre vérité, soupçonnable pourtant ; au contraire, la langue des autres demeure la voie royale pour semer le désordre dans les têtes, et régner sur un empire tropical, hybride, fragile, et au final frustrant.