«Ces personnes qui ont fait des études pas ensemble,
ont des maisons pas ensemble,
ont des vacances pas ensemble,
se déplacent pas ensemble
hors du grand ensemble,
exigent que les autres
tous les autres
apprennent
c’est leur obsession
à vivre
ENSEMBLE
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« Dans mon pays, madame, les filles n’ont pas le droit de se mettre en maillot de bain sur la plage.
--ah bon ?sinon que se passe-t-il ?
--elles iront en enfer !
-- ah ? Vous voulez dire que l’enfer est peuplé de filles en maillot de bain ? Ça a l’air sympa.
--bah »
Parfois, je vois les morts de ma vie apparaître au coin d’une rue. Eux non, je crois.
Lundi dernier, place Bellecour, j’ai entrevu le long corps voûté de mon père dépasser un instant de la foule avant d’être englouti par la bouche du métro. Il semblait si las de loin.
Comment se fait-il que les morts n’aient pas l’air plus reposés que les vivants ?
Je ne suis pas celle qui attend. Je ne me cache pas dans les bois en patientant mon tour.
Je ne me fais pas discrète.
Je suis l’intranquille aux aguets, mon impatience est sauvage.
Je tire droit, je tire de travers, trop vite, trop tôt. C’est fait.
Est-ce que je m’en mords les doigts ?
Je ne laisse pas l’inconnu approcher. Je le flaire à distance. Je le prospecte.
Je passe mon chemin.
Je suis la chatte d’Istanbul.
Je sprinte entre les engins des rues pour te retrouver.
En fin de course, je me jette dans toi tête baissée, mon quartier intime, mon clan.
J’ai dans l’un de mes poings un dé,
dans l’autre une amulette
que je serre tous deux très fort pour conjurer le sort.
Comme je ne sais pas comment l’on quitte un garçon parce que c’est la première fois et que je ne veux pas le blesser, j’invente une histoire tragique: on m’a découvert une grave maladie cardiaque inopérable, je vais mourir dans le mois, les médecins ne me donnent aucune chance. On doit se quitter car je vais finir mes jours dans un hôpital où je ne pourrai recevoir aucune visite à part celle de mes parents. C’est notre dernier jour.
Guillaume pleure toute la journée.
Je l’aperçois quinze jours plus tard tenant la main d’une jeune fille au deuxième étage du centre commercial de la Part-Dieu. Il a l’air heureux, il rit alors que je suis morte. Je suis vexée comme un pou
Je ne vois jamais les oiseaux manger le pain et boire l'eau que je laisse sur le rebord de la fenêtre de ma cuisine.
De même, qui sait à quel moment mes élèves se saisissent de ce que je laisse au bord, pour eux ?
À quel endroit précis a lieu l'ingestion, l'assimilation ? Sans doute quand nous sommes hors de portée les uns des autres, séparés depuis longtemps. Quand nous sommes devenus des disparus.
P. 18
– Madame, c'est quoi vos critères pour dire
qu'un texte est bon ? Je sais pas, un poème, un
livre, par exemple.
– "Bon" pour moi ?
– Oui.
– Il n'y en a qu'un : cest quand il arrive jusqu'à moi.
– C'est tout ?
– C'est tout.
– Et si cest pas le cas ?
– C'est pas grave. Ça veut juste dire qu'il s'est arrêté en chemin, qu'il a fait demi-tour avant de m'atteindre. Ce n'est ni sa faute ni la mienne, c'est juste qu'on n'était pas faits pour se rencontrer. Ou que ça n'était pas le moment.
p. 64.
On est comme ça, on voudrait que tous nos lundis soient fériés, que nos amous soient fiables, que nos nez ne goùtent pas, que nos peaux restent nettes, que nos activités rapportent, que les autres comprennent ce qu'on raconte, que les autres sachent avant même que, sans mot dire, alors que nous-mêmes, hein, est-ce-que l'on sait vraiment, est-ce que l'on se donne la peine d'aller jusqu'au bout, je vous le demande, de faire oeuvre de.
On marche à reculons en s'étonnant que l'horizon se dérobe à chaque pas.
"Les gens ne se rendent pas compte" editions le clos jouve
Je frappe Nadège Fouache à trois reprises sur le crâne avec ma pompe à vélo car elle vient de traiter mes parents de « sales communistes ».
Le soir, je demande à ma mère si l’on peut mourir après avoir reçu plusieurs coups d’un objet dur sur la tête. Elle me répond que oui, on peut. J’attends lundi matin avec anxiété.
Nadège est là qui joue à l’élastique avec Annie Crochemor et Sandrine Belin. Elle fait semblant de ne pas me voir quand je passe à côté d’elle.
Qu’elle crève écartelée en enfer.
Hier, j’ai rêvé que la dernière Clodette était morte. J’essayais d’organiser des funérailles nationales mais cela n’intéressait personne. Je me retrouvais seule à suivre le corbillard sur un boulevard désert dans une combinaison à paillettes mal ajustée. Les haut-parleurs de la ville crachaient Magnolias for ever.
À l’âge de cinq ans, je me lève la nuit pour tirer la moustache de mon père et pincer le bras de ma mère afin de m’assurer qu’ils sont encore vivants. Souvent, ils se réveillent en sursaut et me disputent furieusement. Ravie et rassurée, je retourne alors me coucher et m’endors d’un sommeil imperturbable.