Ai-je le droit de disposer ainsi de la vie des autres ? Mon droit se bornerait alors à disposer de cette vie à condition qu'elle fût offerte aux boulets de canon ? Sottise.
La politique réaliste commence quand on ne tremble plus devant la petite morale des hommes.
La guerre est un malheur : il n'y a plus de science du malheur.
Le courage est le contraire de la peur : non à cause de la différence de sens, mais par l'usage qu'on en fait. La peur - quoique éprouvée par tous - est un mot ignoré, particulièrement quand on parle de ses propres exploits ; le courage, dont personne ne devrait parler, est un mot très commun et employé à tout propos.
Le monde doit se défendre d'un fléau plus général : ses hommes politiques. C'est leur médiocrité et leur manque d'imagination qui ordonnent ces carnages au nom de l'ordre, de l'Histoire et de l'honneur. L'honneur est toujours perdu.
La gloire militaire est écrite sur du vent, le vent qui sort des canons.
Une mouche morte suffit à empoisonner l'huile du parfumeur : un grain d'orgueil annihile le génie et la sagesse.
Quand la jeunesse de Betzy pénètre dans ces murs, tout change. Elle n'est peut-être pas très jolie, mais elle est si fraîche, si jeune, si détachée de ce que sera la vie... C'est l'âge vrai où l'on peut faire des choses sans raison aucune, pour rien, pour le plaisir.
[...]
Gourgaud et Montholon sont d'accord sur Betzy : à leurs yeux, elle est folle. Curieux monde, pour qui la fraîcheur et le sourire sont des opprobres à cacher.
Ma cours me déteste de plus en plus. [...] un prélat m'a fait un discours plein de flagornerie : « Dieu fit Bonaparte et se reposa », dit-il soudain, visiblement satisfait de sa trouvaille, au point de se permettre une longue pause. J'entendis alors une voix très basse, juste derrière Bourrienne, qui murmurait : « Dieu aurait mieux fait de se reposer un peu plus tôt. »
Ma mémoire des hommes et des choses est bien singulière. ETant jeune, je connaissais les logarithmes de plus de trente à quarante nombres. En pleine campagne, je sais non seulement les noms des officiers de tous les régiments, mais les endroits où les corps ont été recrutés, leurs exploits. Ma mémoire devient parfois un outil de domination.
J'ai conté à Joséphine une aventure inattendue. J'étais au théâtre, incognito, avec Duroc, dans une loge d'avant-scène.
Un homme s'approche de moi et murmure avec frénésie :
— Je suis amoureux de l'impératrice
Je lui ai répondu :
— Vous devriez choisir un autre confident