même tes défauts je les aime !
on a protesté avec ardeur
parce qu'on ne les avait pas encore vus
et nos qualités semblaient briller
jusqu'aux tréfonds les plus obscurs de l'univers
(Nancy Huston)
Journal ouvert
Tu m'as demandé : C'est du poème ? - au lieu de "C'est de la poésie". C'était déjà un poème, ta question.
(Milène Tournier)
un bref instant je me suis sentie heureuse d'être aimée et en vie j'ai eu la certitude que mes pensées étaient infinies
qu'elles trouveraient toujours refuge quelque part
que j'aurais toujours une voix, une place dans le monde
quelque chose à y dire
une brèche une faille une page une plage
quelque chose
n'importe quoi
puis j'en ai été moins sûre
(Vanille Bouyagui)
Le temps du poème est passé
où l'on y pliait les genoux
et disait de grandes choses tristes et solennelles
en murmurant de graves paroles
(...)
Et même quand on n'y disait que sa tristesse
la vie ne semblait plus si grise
Le poème à présent est une cabane de neige :
Où le froid fait silence.
(Jean-Michel Maulpoix)
Ou était-ce lui qui avait voulu traverser la fenêtre pour éclater sa peine, la faire taire à jamais ? Peut-être dans ce corps sans centralité, ce corps émietté au sol, y avait-il la splendeur révélée de l'amour passé ? (...) Elle s'était envolée dans les airs, lui s'était enterré dans la terre.
(Laure Gauthier)
T'aimer, c'était
Que je veux que tu m'accompagnes et t'accompagner
Dans cette première allée du chiasme ici qu'on fait,
De d'abord vivre sans mourir, et puis
De mourir sans vivre
(Milène Tournier)
Une gare dissimulée derrière une mairie. Rails. Lignes de vie.
Lignes de cœur. Le pouls affolé de la cité bat alors la chamade.
Toute une jungle d’urgences. Les bars invitent à la palabre.
Tournée générale. Verres alignés sur le zinc. Tronches rougies
Dans le glacis des miroirs. Rêves poisseux du hasard. Du PMU.
Zone interdite de l’espoir. Nos vies manquent de pittoresque.
Certains savent que le cimetière murmure à deux pas d’ici.
J'ai rendu ma jeunesse intacte à la beauté
pour ne pas abîmer la douceur du printemps :
nous n'avons pas le droit de retenir le temps
puisque notre beauté de nous appartient pas.
(...)
Et puisque nous avons le droit d'être heureux,
le bonheur de savoir que je devrai mourir,
la joie de ne plus être aussi belle qu'avant.
(Lydie Dattas)
Doute toujours Doute de tout du vent de la pluie Doute
De l'ombre des oiseaux qui étirent le ciel Doute du ciel
Et de la mer Doute des manteaux de tonnerre Doute de
La mort Doute des ailes de l'orage qui tourbillonne et
Te fait peur Doute de la nuit Doute de la lumière mais
Ne doute jamais dans mon amour
(Alain Duault)
LE POÈTE ASSASSIN
à Olivier Lécrivain
En longeant le square à midi. Une volée de fillettes
éparpille le jour engorgé de soleil. Printemps tardif.
Un bruissement. Une entaille dans la lumière.
Les secondes s'égrènent et se figent sur la pellicule.
C'est un instantané. Flou. D'une rapidité fulgurante.
L'oeil ébroue le puzzle. Reconstruit le souvenir.
Cette vision agit comme un glaçon sur la nuque.
Nulle certitude. Place de la République. Clic.
Clac. Un arc-en-ciel impossible strie les paupières.
J'aurais pu franchir la rue comme une mangrove
pullulant de caïmans. Et seul un klaxon suraigu
me réveille. Un film surimposé sur la rétine.
Un monde caché derrière le monde suffit
parfois à poignarder la réalité. C'est ainsi.