Je m'adosse au tronc tordu d'un vieux pommier. Et je regarde le monde au coeur de l'automne. Désastre vivant. Longuement je sirote le temps. Des fragrances fortes d'humus, des alcools acides croisent des senteurs fruitières, quelque effluve d'érotiques somnolences, ce fumet aigrelet comme le piou-piou tristelet d'un oiseau sans nom qu'un nuage de vieil arôme pourrissant engloutit. Il arrive qu'au dessus de ma tête je cueille un dernier fruit, unique merveille, ou le découvre à mes pieds enfoui dans la paillasse détrempée. (...)
L'automne est bien là
Ce qui me le fit comprendre
C'est l'éternuement
Buson
Daniel Biga
Dans ma solitude, il n'y a pas de jardin. Du silence peut-être, qui s'accumule, s'épaissit. Il finirait presque par reproduire le bruit exact du mot qui à la fois indique l'idée du jardin, la réalise dans l'espace, et puis vous met dedans. Le bruit exact de ce mot qui n'existe pas, donc, le mot jardin, de ce mot qui tout à la fois vous suggère le paradis et vous oblige à y renoncer. Or pour moi, c'est ça ou rien. Je veux dire le paradis ou rien. Donc, pas de petit jardin, pas de petit jardin. Même pas de larmes.
Yaël Pachet
A mon goût, à mon sens, mon jardin, image de ma vie, avec ses luttes, ses repos, ses passions et ses refus, sa profusion avant son dénuement aussi, sa prodigalité après sa mesquinerie, son dénouement – sans cesse repoussé – inéluctable.
A quoi bon ces énumérations qui ne sont mots de passe que pour les jardiniers ? Peut-être aussi pour les gourmands de vocables anciens, les obsédés de dictionnaires, les amateurs de termes rares ou disparus, les fervents de liturgies fanées, les archivistes des argots de métier (liste des possibles lecteurs).
Si j’insiste sur les âges successifs dans ces différents enclos c’est qu’il m’est apparu que, vraiment plus que les évènements intimes ou familiaux, la manière dont j’ai considéré les fleurs et les arbustes, leurs noms mêmes, en dit davantage sur mon évolution.