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Citations de Jean-François Billeter (262)


9 sept. Aix-en-Provence. Je déjeune tardivement sur la petite place à fontaine proche de l'hôtel. Bleu du ciel, ocres de la pierre, ombre et lumière. Je me détends, je m'ouvre à la beauté - et avec elle au souvenir de Wen qui monte en moi, puissant souvenir de bonheur partagé. Je m'y entends maintenant: je le laisse monter mais pas trop, je le garde à mi-hauteur pour qu'il ne déborde pas. Comme elle serait émue, me dis-je, si elle était témoin de mon émotion. Je pense aussi à mon père. Je les associe, c'est la première fois. Sympathie qu'ils avaient l'un pour l'autre. Ils sont les deux morts tôt et subitement. Ma vie a maintenant une intensité dont je n'avais pas l'idée et dont les autres ne se doutent pas. Pour un rien l'émotion s'empare de moi, mêlant souvenirs, joies, douleurs, peu importe. Les autres n'en ont pas l'idée parce qu'ils doivent courir, calculer, se battre, se préserver, comme moi si longtemps.
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La beauté n'est pas sans rapport avec la mort : qui a connu la beauté peut quitter le monde sans regret.
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16. J'ai passé une partie de ma vie à essayer les idées des autres. Je me disais que je finirais par trouver celles qui me conviendraient. Puis un jour, las de chercher, j'ai décidé de m'en tenir à ce que je pouvais observer par moi-même et de m'intéresser aux seuls problèmes que me posait ma propre existence, même si elle me paraissait réduite. C'était le moyen, pensais-je, d'arriver à quelques certitudes limitées, faute de mieux. J'ai accumulé les observations, elles se sont multipliées, puis un renversement s'est produit. Entre certains faits que je remarquais, des rapports sont apparus, des motifs se sont formés. Je me suis aperçu que je tenais le début d'une pensée qui m'était propre. J'ai d'abord cru qu'elle se situait à la marge du monde des idées, puis je me suis rendu compte qu'elle me mettait en position de dialoguer avec d'autres. Je disposais même d'une pierre de touche pour juger la pensée des autres et mieux déterminer en retour ma propre vision des choses.
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Un homme est d'autant plus libre qu'il a acquis plus de pouvoirs d'agir et qu'il est par conséquent capable d'agir de façon nécessaire dans un plus grand nombre de circonstances.
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28 janvier. A la vue de la moindre tendresse que se témoigne un couple, la mienne pour Wen me submerge.
28 janvier. Soudaine solitude. Besoin de donner de l'affection. Je lui dédie celle qui me vient maintenant. (p. 34)
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Le chiffre de 43 millions de morts [de la famine] figure dans un document chinois officiel que Tch'en Yi-Tseu, réfugié aux États-Unis et professeur à Princeton, a communiqué au Washington Post (voir Le Monde du 20 juillet 1994). Ce document estime à 80 millions le nombre de personnes mortes de « causes non naturelles », autrement dit du fait de la politique du régime, de 1949 à 1976, date de la disparition de Mao Tsé-Toung.
(Note, page 51)
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15 décembre. Il suffit que j'entende quelques mesures d'une musique que nous aimions pour que notre bonheur commun s'empare de moi et me bouleverse. (...)
18 déc. M'en sortirai-je par le récit ? Sera-ce le moyen de recréer un tout, après la perte ? (p. 27)
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[Les affiches ] elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. (...) Cette mesure faisait partie des décisions "révolutionnaires" du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment -là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. (p. 85)
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La veille du départ, j'avais rendez-vous avec Wen à Xinjiekou, près de chez elle. La fin de la journée était orageuse, le vent se levait, les passants pressaient le pas. Je lisais les affiches. Certaines étaient des annonces officielles de condamnations à mort. Un visa rouge, en bas à droite, signifiait qu'elles étaient exécutoires. Ce n'était pas nouveau. J'en avais souvent vu. D'autres m'ont effrayé. Elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. Les parents de Wen risquaient d'être chassés de chez eux et contraints de retourner dans leur village du Liaoning, en Mandchourie. Comment s'y rendraient-ils ? Comment y survivraient-ils, séparés de leurs enfants ? Ils ne survivraient pas. Cette mesure faisait partie des décisions «révolutionnaires» du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment-là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. Quand elle m'a appris cela, elle ne s'y est pas particulièrement arrêtée. Elle ne savait pas d'où venait ce signe d'infamie. Pour elle, cette avanie s'ajoutait simplement à toutes celles que son père avait déjà subies.
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A la suite de cette entrevue ou d'une autre avec M. Ma, j'ai connu un moment de désespoir. De retour dans ma chambre, je me suis jeté sur mon lit et j'ai sangloté. Je me sentais totalement démuni et la pensée m'est venue qu'après tout les autorités avaient leurs raisons, qu'il fallait les accepter sans les comprendre, qu'il y avait une nécessité supérieure face à laquelle mes prétentions n'étaient rien. J'ai fait à ce moment-là l'expérience de l'abdication devant un pouvoir totalitaire, dont ce pouvoir tire toute sa force. J'ai trouvé dans cette défaite un moment de repos, voire de réconfort. Heureusement, cela n'a pas duré.
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Cette rencontre a eu lieu il y a un demi siècle. Je ne l'ai pas racontée jusqu'à ce jour parce que je ne savais pas comment m'y prendre. Je le fais maintenant pour qu'une trace subsiste d'événements qui ont tant marqué ma vie. Mes souvenirs sont lacunaires. Je n'ai rien noté à l'époque, on comprendra pourquoi, mais c'est peut-être devenu un avantage. Il faut s'être délesté d'une grande partie du passé pour que l'essentiel apparaisse.
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Parce qu'il nous entraîne dans une course folle et détruit tout ce qui est stable, le capitalisme crée l'illusion d'une société ouverte mais il nous impose un monde fermé. La pensée y est prisonnière. Ceux qui servent ce système affirment qu'il est rationnel et indépassable. Nul ne doit s'aviser qu'il pourrait n'avoir qu'un temps et que nous disposons de toutes les ressources qu'il faut pour lui en substituer un autre. Il est d'essence impersonnelle, disent-ils, et dégagent par là leur responsabilité personnelle.
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La Chine est de plus en plus présente dans le monde, mais elle est en même temps comme absente. Nous n'entendons pas sa voix.
(Incipit)
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Le bouleversement s'est produit quand, au début de l'époque contemporaine, les possédants ont soumis la société entière à la loi du calcul et du profit : ils l'ont soumise de ce fait à la loi de l'infini. La loi de l'infini, la voici : une activité qui se résume à faire fonctionner un système n'a pas de fin, dans les deux sens du terme : elle n'a ni terme, ni but. Elle condamne à l'infini celui qui s'y livre.
Cet infini a deux formes : la répétition et la prolifération.
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Les états-majors de la finance et de l'économie actuelles obéissent à la loi de l'infini parce qu'ils s'en tiennent à l'idée que ce qui fonctionne doit fonctionner et que ce qui prolifère doit proliférer. Leur pensée se limite à cela - si l'on peut appeler pensée ce qui n'est qu'un automatisme intériorisé. Ils agissent comme le cancer. Ils sont persuadés que le malade sera sauvé quand ils l'auront définitivement privé de ce qui lui reste de défenses immunitaires et n'opposera plus aucune résistance à leur logique. Ils ne peuvent concevoir autre chose. Ils le peuvent d'autant moins que leur "pensée" est désormais automatisée et travaille toute seule, touchant instantanément le monde entier. C'est le stade de la métastase généralisée. Mais un tel développement a tout de même une limite : la mort du patient.
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Cette rationalité nouvelle a rendu possible un renversement qui s'est produit en Angleterre, puis ailleurs en Europe. L'organisation du commerce était devenue si étendue et puissante qu'elle a imposé à la société sa propre logique, qui est celle du calcul, autrement dit de la pure fonction. Elle l'a imposée par une révolution que l'on dit industrielle, mais qui est surtout sociale. Les possédants ont créé par la violence une classe de dépossédés contraints de vendre leur travail contre un salaire au moyen duquel ils devaient ensuite acheter leur moyen de subsistance. L'existence des dépossédés a été soumise au calcul des possédants - dont l'existence s'est elle-même trouvée soumise au calcul. Tout devait être quantifié pour que tout fût soit acheté, soit vendu avec profit. Ce nouveau système, qui s'est ensuite étendu de l'Europe au monde entier, a créé un monde vide de sens - car la fonction ne crée pas de sens. Elle ne connait pas d'autre fin que son fonctionnement. Toutes les tentatives qui ont été faites pour donner un sens à ce système vide de sens ont engendré des idéologies monstrueuses et provoqué des catastrophes. Tels ont été les XIXè et XXè siècles.
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C'est ainsi que le langage crée le monde. Chaque langue crée un monde un peu différent ou très différent des autres. Chaque monde a exactement la même cohérence que le langage exprime.
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Peu après mon retour, une crise plus grave s'est emparée de moi. Pendant ma première année à Pékin, tout m'avait enchanté. La nouveauté de ce que je découvrais ne m'avait pas rendu aveugle aux aspects déplaisants de la réalité chinoise, mais en avait, pour ainsi dire, annulé l'effet négatif sur ma sensibilité. J'étais Stendhal en Italie. Le charme était maintenant rompu. J'étais privilégié, j'avais une chambre à moi, les cours que je suivais avec les étudiants chinois du département de littérature classique excitaient ma curiosité et les difficultés considérables que je rencontrais à cause de l'insuffisance de mon chinois ne faisaient que renforcer mon ambition. Mais la vétusté des équipements et la médiocrité générale de la vie quotidienne m'ont soudain accablé. Il régnait une monotonie due au fait que le régime interdisait toute initiative personnelle. Les étudiants chinois de ma volée n'avaient aucune idée de leur avenir, qui dépendait le moment venu des "besoins de la révolution". Je les côtoyais, mais ne pouvais les fréquenter, car seuls deux d'entre eux étaient autorisés à avoir des relations avec moi. Ils étaient chargés de m'aider dans mes études, ce qu'ils faisaient de leur mieux. Quand je leur disais que je n'avais pas été envoyé en Chine, mais que j'y étais venu de mon propre chef, ils ne me croyaient pas. Pour eux, c'était inimaginable. Ils ne savaient quasiment rien du monde extérieur.
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Il y a en effet beaucoup de gens qui lisent uniquement pour être dispensés de penser.
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Dans le monde d'alors, je ne pouvais pas partir plus loin [NB : la Chine de 1963]. Les communistes avaient pris le pouvoir, ils avaient fermé le pays aux étrangers, personne ne savait ce qui s'y passait, ni ce qui subsistait du passé ; on parlait de famine. J'enfreignais un interdit, en Suisse l'anticommunisme était virulent, et je partais vers l'inconnu.
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