La vie de rêve qui vibre par delà cette vie matérielle, voilà la vraie vie. C'est pour elle que nos artères battent, c'est par elle seule que nous touchons au bonheur... Ceux qui connaissent cette vie intérieure, sont les maîtres du Monde : les hommes qui l'ignorent, font partie du troupeau des esclaves et des bêtes...
(Extrait de la nécrologie de Jean Galmot, 1928)
Grâce aux tamarins et aux manguiers qui entre-croisaient leurs frondaisons au-dessus de la maison, la véranda demeurait sombre et relativement fraîche. Allongée dans la berceuse viennoise, la jeune Maréta, écrasée de paresse, pour se donner l’illusion de la brise, se balançait indolemment. Mais ce léger effort emperlait son front de sueur et l’air dense et tiède qui l’éventait, loin de la rafraîchir, l’oppressait et lui donnait la nausée. Alors, elle se leva, empoigna sa lourde crinière et la rejeta sur le haut de sa tête où un large peigne d’écaille blonde la retint avec peine. Elle en ressentit un rapide soulagement ; elle passa sa main sur sa nuque : elle était moite, ainsi que tout son corps sous la chemise de percale humide. De nouveau, l’envahit ce vague écœurement qui naissait de tout, de l’odeur sucrée des fleurs du faux-café, du sifflement exaspérant des moustiques, de l’éclat de la route aveuglante qu’elle apercevait par tronçons entre la haie d’hibiscus et les massifs de bouraos, de la chaleur épuisante et des tourbillons de poussière qui déposaient leur cendre grise sur les feuilles des arbres et le gazon des trottoirs.