Pourquoi l'image d'une caravane ondulant dans un paysage désertique suscite-t-elle chez la plupart d'entre nous de secrètes résonances? Lorsque l'imagination s'égare vers les peuples nomades, lorsque l'esprit vagabonde, nous sommes en proie à un trouble étrange. Serait-ce que le nomadisme nous concerne plus que nous ne le pensons? Besoin d'évasion, atavisme? La tente nomade demeure le symbole - ou le souvenir - d'une époque que nous aurions pu connaître par le truchement de nos pères.
Si nous étions nés seulement le jour de notre naissance, nous ne verrions dans les nomades que des gens simples, à l'esprit trop ankylosé pour songer à améliorer leurs conditions de vie. Mais une perception millénaire, héritée de lointains ancêtres, nous fait pressentir dans les peuples transhumants des cousins et, même plus, de grands frères.
Le processus de leur sédentarisation mérite d’être observé attentivement, car ce phénomène n’est pas la conséquence brutale d’une action gouvernementale. Les nomades eux-mêmes ont décidé cette mutation qui leur semble propice. Ceci prouve la grande aptitude qu’ont les peuples nomades à s’adapter à des conditions de vie changeantes. […] les peuples nomades ne restent pas aveuglément attachés à une tradition ancestrale. Ils nomadisent tant que cette situation leur est avantageuse. S’asseoir au village leur agrée dès qu’ils entrevoient une perspective de vie meilleure. Evidemment, seuls les plus riches sont capables de s’arracher à leur mode de vie traditionnel, les plus pauvres resteront encore longtemps attachés à leur passé. En ce qui les concerne, seule une action à l’échelle nationale peut les en extraire, par exemple en créant un besoin de main-d’oeuvre par l’installation d’industries. Doit-on le leur souhaiter?
C'est l'attitude qu'arbore l'étranger qui est primordiale. Les touristes ont trop tendance à considérer les habitants des pays qu'ils visitent comme des figurants épinglés au décor que la nature a tendu pour eux. A braquer sur l'autochtone leurs caméras et appareils photographiques, à étaler devant lui un luxe et une suffisance provocants, les étrangers, noyés dans leur prétendue supériorité, n'imaginent pas le sentiment de révolte et de dégoût qu'ils suscitent chez les gens dont le sens de l'hospitalité n'est pourtant pas vain. Ils blessent ainsi mortellement la fibre la plus sensible de l'être humain: la fierté.
[Les Bourgeois, après quelques mois en Belgique, retrouvent leurs amis nomades:]
- Nous sommes heureux de vous revoir, Adjâm. Nous avons entendu dire à la radio qu'une grande guerre mettait aux prises les deux tribus belges, et nous avions bien peur pour vous.
Une grande guerre en Belgique? Ah oui, la guerre linguistique!
Comment des gaillards comme Malouk pourraient-ils concevoir en effet une guerre uniquement verbale? Sans aucun doute, les nomades ont imaginé une Belgique à feu et à sang, des monceaux de cadavres flamands entassés sur des monceaux de cadavres wallons.
[Zarîn, un homme dont la fille de trois mois vient de mourir, parle:]
- Ah, Adjâm, la vie est bien triste. Nous avons tant de difficultés à nourrir nos enfants, et puis Allah nous les reprend. Je voudrais n'en avoir jamais eu...
Que te dire, Zarîn? Nous nous heurtons tous, pauvres hommes, à cette inexorable défaite. Du moins, comme tu le penses sans doute, notre confortable Europe nous donne-t-elle le moyen de reculer parfois l'échéance. Mais notre race périra peut-être pour n'avoir pas subi la loi de la brutale sélection.
Les femmes ,heureusement , sont pleines d'indulgence à mon égard , contrairement à leur maris.Ceux-ci ne se gênaient pas, l'an dernier, pour déclarer à Jean qu'il avait fait une mauvaise affaire en m'épousant. Une femme toujours fatiguée ( le climat, la nourriture, l'altitude, qu'est-ce donc ? ), incapable de monter correctement sa tente, de construire un feu de crottins convenable, c'était là ce qu'ils appelaient une mauvaise épouse. Jean rétorquait en assurant qu'il ne m'avait pas payée fort cher, mais cette argumentation plaisante n'avait pas paru les convaincre.
Nous n'avons jamais rien possédé
Nous l'avons toujours su
Nous sommes nus
Seule une certaine peur
Nous fait un habit qui n'a pas de nom
Ce ciel qui se tait
Ce jour sans couleur
À l'étreinte trop douce
Ce qu'on fait de nos mains
Quand elles ne font rien
Et tu as fait tomber la mer
Comme une marée verticale
Pour qu'elle descende en moi
Tout s'est figé
Sous les lampes qu'on n'allume plus
Laissant venir la nuit quand elle veut
Lécher les murs
Où s'épuise le vide