La mythologie judeo-christique
L’initié n’est ému ni par les désirs, ni par les objets extérieurs ; il sait en lui-même quels sont les besoins vitaux qu’il est utile et opportun de satisfaire : il est totalement affranchi de la dictature de son environnement, il est maître de lui et de l’univers (de son rapport avec l’univers) qu’il comprend, assume et féconde. Il est maître de ses émotions et de ses désirs, de leur épuration de toute affectivité, de leur spiritualisation, de leur réalisation ou de leur sublimation.
La fraternité maçonnique est en effet beaucoup plus qu’un simple lien amical, qui a son prix et dont nous apprécions la chaleur ; c’est la reconnaissance ontologique de la valeur d’autrui et la manière d’expérimenter sans échappatoire possible notre attitude envers les autres, à l’intérieur d’un microcosme – on pourrait presque dire en laboratoire – sans que cette attitude soit limitée aux seuls frères de la loge, ni de l’obédience : elle est, en quelque sorte, exemplaire de notre attitude envers tout individu.
Le sens de la démarche [manichéenne] est […] simple : chaque homme doit choisir – et ce choix constitue sa responsabilité essentielle devant la vie, sa responsabilité vitale – entre le bien et le mal, le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres, l’accomplissement et la dissolution.
Tel est le travail du maçon, de tout homme véritable : dégager de sa gangue corporelle le pur diamant d’une âme accomplie, consciente et maîtresse de tous ses désirs passagers, illuminant sa vie, lui donnant un sens, son sens, et procurant ainsi la joie de la connaissance et de la ferveur. C’est un but directif : accéder à la maîtrise. C’est aussi un combat personnel et permanent, mené plus ou moins consciemment (et c’est pourquoi il vaut mieux le mener consciemment) au cœur de notre libération intime, le combat de notre vie dont l’issue, toujours provisoire et incertaine, fera que cette vie aura été gagnée ou perdue. Ce combat, nous le menons seuls, comme les héros de la mythologie grecque ou comme Jésus-Christ. Il ne nous offrira que des succès relatifs, éphémères et fragiles, et des défaites quotidiennes, parfois insidieuses, mais qui saperont tout l’effort antérieur et corrompront le bénéfice des victoires que l’on croyait acquises. Car ce qui nous est demandé, en définitive, c’est de participer, de manière consciente, volontaire et efficiente à l’immense effort de maturation du monde, à son processus de création continue et de progression évolutive vers une spiritualisation croissante et une unification apaisante. Il nous faut libérer, à partir des forces incontrôlées et souvent insoupçonnées qui grondent en nous – et qui nous oppressent et nous asservissent – une tension unifiée, éclairante et féconde, l’exigence d’une spiritualité (connaissance), l’exercice d’une volonté (force) et d’une sagesse (maîtrise), ainsi que l’expérience de l’harmonie (beauté).
L’éternité, c’est avant tout l’affranchissement du temps qui nous pèse, du quotidien qui nous agresse et de nos désirs immédiats qui nous empêchent de percevoir notre destin essentiel ; c’est le dépouillement de notre individualisme, de notre particularisme et de notre égocentrisme, qui nous isolent, en quelque sorte, de l’aventure cosmique dans laquelle nous sommes engagés, consciemment ou non, pour une part, si infime soit-elle.
[…] nos véritables ennemis ne sont pas hors de nous – les autres ou l’environnement matériel ou social -, mais en nous. Ils résultent précisément de l’usage déformé de nos propres vertus.
Le temple est donc un médiateur qui élève l’hominien à hauteur d’homme. Il lui indique la marche à suivre pour tirer profit de l’exemple de ses constructeurs : devenir lui-même une pierre utile à l’édification du Temple spirituel, dont les dimensions échappent à la vision et à la mesure de l’homme […].
[…] la cathédrale n’est que la visualisation surconsciente et incarnée dans la pierre de l’expansion de l’homme et de sa sublimation possible.
Une symbolique n’est pas un menu à la carte où chacun puisse venir picorer ce qui lui convient.
C’est un ensemble cohérent qui n’a de signification que lorsque l’on garde présente à l’esprit simultanément la totalité des éléments qui la composent. Eliminer un seul de ces éléments lui retire toute signification cohérente.
[…] l’homme a perdu le secret de l’adaptation parfaite et immédiate entre lui et son environnement. Il a perdu l’innocence, la réaction juste, proportionnée et correspondant à ses besoins réellement vitaux, réaction non coupable puisque conforme aux besoins de la vie, conforme au sens de la vie. Cette perte est symbolisée par le mythe du paradis perdu : l’homme qui, à l’échelle de l’histoire cosmique, émerge encore à peine du règne animal dont il est issu et en conserve encore de nombreuses caractéristiques, a gardé la nostalgie de son intégration parfaite et heureuse à son milieu naturel. Ce mythe est une projection de notre aventure psychique et non un conte écologique ou rousseauiste.