Jacques Roure - Vulnérable
C’était la guerre et la vie passait quand même. La vie, une écluse je vous dis. Ça vous fait monter pas bien haut et ça vous emmène, finalement, jusqu’à la mer. (…) Alors, pourquoi : 1944 ? Une trentaine d’années après la « der des ders ». Tu savais, toi, qu’après rien, il y avait encore quelque chose ?
(…)
La guerre c’est le plus vieux truc du monde. Des siècles de déraison, d’inventions à la troue-moi-les tripes, des gaz à te miter les éponges plus vite qu’un bacille de Koch, un gigantesque concours Lépine d’inventions à trucider. D’accord, maintenant que la vie s’étire et que les centenaires seront bientôt à la recherche d’un emploi, faudra dégager la planète pour éviter les embouteillages. Déjà à l’âge de pierre ils savaient se fracasser le crâne, même avant d’avoir taillé leurs premiers cailloux. (…) Les guerres, ça finit toujours par finir.
- Vous savez, Albert, j’ai un problème vocal. Je ne sais pas si je serai en état de chanter ce soir.
J’appelais immédiatement un O.R.L pour avoir un rendez-vous le jour même ce qui fut facile devant la notoriété du demandeur. L’examen fut soigneux et le confrère ne trouva qu’une fatigue passagère des cordes vocales et conseilla de pratiquer des aérosols à domicile. Je passai à la pharmacie récupérer le matériel, les médicaments et lui installai sa machine dans sa chambre. J’arrivai un peu en avance au théâtre et rencontrai son accordéoniste Robert Thomas :
- Robert, Moulou est malade. Il ne sait pas s’il pourra chanter ce soir.
- Il t’a fait le coup de l’O.R.L et des aérosols ? Ne t’inquiète pas, ça dure depuis les dix ans que je l’accompagne. Il a le matériel, il ne s’en sert pas, et le mal s’en va comme il est venu.
Je regardais les arbres d’une autre manière. Eux, savaient qu’ils pouvaient compter sur moi. Ils ne seraient plus obligés de pomper les substances nutritives contenues dans les diverses matières organiques pour voir leur tronc transformé en pâte à papier. Ils se contenteraient désormais de nous donner de l’ombre, des fleurs et des fruits. J’allais réinventer le paradis terrestre.
(…)
Si l’enfance est bénie, la mienne était sereine. J’y puisais des lueurs et des ombres, des sentiments dans la lumière des regards, des émois dans la nature, colorée par la tendresse des miens. Papa, debout de bonne heure, allumait sa première cigarette pour couvrir l’odeur de l’ersatz de café, composé d’orge grillé. On partageait avec les poules cet agrainage quotidien, mais torréfié. On échangeait les premières tendresses.
Toute la classe sur l’air du pin-pon des pompiers reprenait en cœur ça pue-ça pue, Honteux et merdeux je me levais pour suivre la direction du doigt vengeur de Matamore qui m’indiquait la porte.
Ah ! Cette cour de récréation. Je la retrouvais avec bonheur. Une rangée de petits cabinets, presque clos par une demi-porte laissant passer vers le bas une souveraine aération. Nettoyés le matin, ils sentaient encore l’eau de Javel. Je pouvais enlever les chaussures pour retirer mon pantalon. Les dégâts n’étaient pas irréparables. Je retirais le slip par la même occasion et les deux pieds posés sur le bord de la cuvette à la turque, je poussais.
L’aube. Le soleil se lève et des milliards de culs se lèvent aussi… Je m’appelle Albert Ducreux. On s’en souvient facilement. D’abord, à l’école - Vous, Ducreux, par exemple, qui portez bien votre nom, vous pourriez répéter ce que je viens de dire ? Il avait fait de l’esprit, le con. Il s’appelait Archibald Matamore. Avec son nom, j’aurais aussi fermé ma gueule !
Christophe me dit qu’il serait peut-être judicieux de prendre dans la chanson un pseudo plus accrocheur qu’Albert Ducreux. Je pensai à ce camarade fréquentant nos ateliers, Robert Merlan. Claude lui dit un jour qu’il lui fallait trouver un autre nom de scène. Notre Robert revint la semaine suivante :
- Ça y est Claude, j’ai trouvé mon nom de scène.
- Oui ?
- Ce sera Bob… Bob Merlan.
Grande rigolade accompagnée de la plus grande confusion de l’auteur de ce nouveau baptême.