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Critiques de Isabelle Sorente (163)
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La femme et l'oiseau

Quand sa petite-nièce, Elisabeth, lui téléphone pour savoir si elle peut se rendre chez lui avec sa fille Vina, Thomas, 91 ans qui habite la maison où il a grandi en pleine forêt des Vosges, un peu affolé par la détresse et la lassitude perçues dans sa voix, lui déclare sa joie de les voir toutes les deux.

Vina, 14 ans, surdouée, tourmentée par ses origines et troublée par les bouleversements de l’adolescence a été exclue de son lycée pour avoir menacé un camarade. Sa mère, directrice d’une société productrice de documentaires, elle-même surmenée est au bord de la rupture. Un séjour chez ce grand-oncle qu’elle considère comme sa seule famille car lui seul ne l’a jamais jugée s’avère, il lui semble, le seul moyen de lâcher-prise.

Dès leur arrivée en Alsace, Vina est très vite intriguée puis fascinée par cet homme qui communique avec les rapaces et semble deviner les pensées.

Rapidement des liens vont se tisser entre le vieil homme et l’adolescente.

En parallèle à l’histoire de cette mère et sa fille confrontées à des choix difficiles, l’auteure revient sur ce que vécurent Thomas et son frère Alex enrôlés malgré eux dans l’armée allemande en 1944.

En se basant sur des faits réels, c’est pour Isabelle Sorente le moyen de mettre en avant ce tragique épisode des « Malgré-nous », ce drame méconnu de la Seconde Guerre mondiale, peu souvent évoqué.

Elle montre comment ces Alsaciens ou Mosellans n’avaient d’autre choix que d’obéir, sauf à se blesser dangereusement eux-mêmes, pour se rendre inaptes à partir sur le front russe en uniforme allemand alors qu’ils étaient français, ou à disparaître et à être considérés alors comme déserteurs exposant leurs familles à l’expulsion et aux représailles.

À l’incorporation forcée et l’horreur vécue sur le front, vont s’ajouter pour les deux frères les conditions de vie terribles par un froid glacial dans un camp de prisonniers soviétique, ce camp 188 de Tambov-Rada, où furent détenus et où moururent nombre de « Malgré-Nous » ayant déserté le front ou faits prisonniers par l’Armée rouge. Des passages parfois très crus permettent d’approcher ce qu’a pu être la réalité pour ces jeunes enrôlés.

La femme et l’oiseau est un huis-clos psychologique conduit magistralement par Isabelle Sorente, dans lequel chacun des personnages est, a été et peut être encore confronté à des choix, des choix souvent douloureux, jamais anodins pour leur avenir.

Au fur et à mesure que les liens se tissent entre Thomas, Elisabeth, Vina et Mona, l’aide-ménagère de Thomas, chacun dénoue les secrets de l’histoire familiale. Et pour guérir leurs blessures, pour se libérer des fantômes qui les hantent, tous devront affronter leur culpabilité.

Quelle magnifique image que ce vieil homme qui donne confiance à cette adolescente qui, en retour, lui permet de se libérer de son secret !

J’ai aimé cette symbolique du faucon dont se sert Isabelle Sorente au travers de son personnage Thomas. Cet oiseau majestueux à la vue hyper développée qui a sauvé celui-ci en lui permettant de s’évader par la force de l’esprit montre qu’on n’est jamais complètement piégé dans une situation, qu’il peut y avoir une possibilité de s’en extraire.

Ce roman haletant, développe avec beaucoup de profondeur et de sensibilité la relation-mère-fille et le thème de la gestation pour autrui, de même qu’il exprime avec justesse la résilience et la transmission entre les générations et se penche aussi avec finesse sur le sens de la vie.

Un grand coup de cœur pour La femme et l’oiseau d’Isabelle Sorente.

Je remercie Babelio et Folio pour m’avoir permis avec ce somptueux roman de découvrir une auteure que je ne connaissais jusque-là que de nom.
Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Le complexe de la sorcière

Le récit s'ouvre sur une vision apparue à l'auteure, une scène terrible, l'interrogatoire d'une femme accusée de sorcellerie, des instruments de torture en métal chauffés en blanc, un inquisiteur menaçant. Un autre siècle. Quoi que ... Cette vision tourne à l'obsession et lance l'enquête d'Isabelle Sorente sur les chasses aux sorcières des XVI-XVIIème siècles. Jusqu'à un télescopage temporel.



Si la figure de la sorcière dans l'historiographie féministe est classique et largement abordée ces dernières années, la thèse du complexe de la sorcière est très neuve et audacieuse.



« Le complexe de la sorcière serait ce soupçon permanent de soi instillée aux femmes torturées, ou aux femmes témoins de la torture d'autres femmes de leur famille ou de leur entourage. L'interdir portant sur la vérité, qu'elles ne peuvent ni chercher ni dire, sous peine de torture. (...) Comment l'Inquisiteur, avec une majuscule, l'Inquisiteur a pu être assimilé, intériorisé, enfoncé à coups de marteau, imprimé au fer rouge, puis oublié mais conservé à l'intérieur de la psyché comme un corps étranger après une opération chirurgicale, transmis de mère en fille et de grand-mère en petite fille, comme un juge toujours en exercice, toujours prêt à mettre en doute, à haïr et à condamner la conscience d'une femme ».



L'idée du empreinte psychologique transgénérationnelle, des chasses aux sorcières ayant laissé une empreinte occulte dans la psyché des femmes, d'un inquisiteur intérieur « hérité » depuis des siècles est séduisante sur le papier.

La difficulté avec les romans à thèse, c'est que pour les apprécier totalement, il faut adhérer à leur postulat de départ. Et dans ce cas-là, je n'ai jamais été convaincue par les aller-retours, les parallèles entre la sorcière d'hier et la femme d'aujourd'hui qui en subirait l'empreinte.



Bien sûr que les femmes du XXIème doivent lutter contre leur inquisiteur intérieur, mais les passerelles entre leurs difficultés actuelles ( injonction à la minceur, mépris des femmes seules, peur des vieilles femmes, autocensure, peur de dire son ressenti profond ) et les sorcières m'ont semblé calquées un peu artificiellement.



Là où j'ai été convaincue, c'est lorsque Isabelle Sorente évoque son adolescence douloureuse en oubliant ses sorcières. Ses mots, tout en retenue et dignité, sont justes et vibrant d'émotions pour dire le harcèlement scolaire très violent qu'elle a subi durant tout le collège. L'éclairage genré sur la réaction des parents est très pertinent : le fils qui s'est fait attaqué une fois dans la cour se voit offrir par le père un cours de self-défense, là où elle, la fille, reçoit de la mère « oui, ça m'est déjà arrivé » et puis c'est tout.



Certes je n'ai pas adhéré à la thèse de l'auteure mais cette dernière fait montre d'une belle réflexion, on sent derrière chaque page une pensée vive qui fouillent les failles de notre société en livrant son expérience personnelle avec une grande sincérité.



Lu dans le cadre de Cercle livresque Lecteurs.com
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La faille

Je referme les 500 pages de ce roman et j’en suis encore toute chamboulée, difficile d’écrire un billet sur ce livre tant il fourmille dans tous les sens. Je dois choisir entre l’adoration ou le mépris. Je me lance.



Mina et Lucie sont deux amies, les meilleures comme deux sœurs. Elles se livrent leurs secrets et ne manquent aucune occasion d’être présentes l’une pour l’autre. Aussi belles qu’intelligentes, elles vivent toutes les deux sans père, auprès d’une mère célibataire. Lucie à la chevelure d’or éprouve un besoin viscéral de plaire, elle voue aux mots une force insoupçonnée, entre le mensonge et la réalité, il n’y a qu’un pas.

Âgées respectivement de 16 et 20 ans, elles vont se perdre de vue pour se retrouver des années plus tard.

Lucie est devenue comédienne, Mina écrivain.

Les mots ont grande place dans ce roman, ils permettent d’habiller la réalité, de jouer avec elle, de creuser la faille ou bien de l’extérioriser.

Quand Lucie réapparaît des années plus tard, elle a bien changé. Elle semble avoir vieillie prématurément comme si le chagrin avait meurtri sa peau et son âme. C’est à ce moment qu’arrive en scène VDA, Vincent-Dominique Arnaud. Drôle de prénom pour un homme aux multiples visages, archétype du pervers narcissique manipulateur. VDA est un homme qui aime les femmes, à la fois fortes et surtout écorchées vives pour mieux les détruire. C’est ce qu’il s’attardera sans peine et insidieusement à faire quand il s’éprend de Lucie.



La faille est de ces romans tellement bien construit et fouillé qu’on se sent pris dans l’engrenage des personnages. Il distille le mystère, il plonge dans l’âme humaine, il rend perfide et machiavélique des personnages ordinaires. Lucie, Mina et VDA ont un point en commun : la faille. Celle qu’on trouve enfouie dans l’enfance et nous fait grandir en dent de scie.

La faille, un roman déroutant, impeccable, brillant qui mérite des lecteurs pour son travail recherché et méticuleux, pour sa plume oscillant entre l’ordinaire et la singularité.



Je te remercie Annette de m’avoir permis de découvrir ce roman époustouflant.
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L'instruction

La narratrice sans visage » dixit Isabelle Sorente est en proie à un épuisement qui la pousse à revoir sa vie dans sa globalité. C’est le burn-out. Devant le constat de son médecin, la narratrice s’arrête et prend le temps de réfléchir à une manière de sauver sa peau. Sa quête spirituelle, elle va la trouver à travers l’instruction : «un mystérieux exercice d’empathie pratiqué par d’anciens maîtres nomades, consistant à s’imaginer à la place d’un animal conduit à l’abattoir ». L’empathie est au cœur de ce roman témoignage. C’est troublant, c’est puissant, ça commence déjà fort… lisez la première page, vous serez au cœur même de cette empathie. (Disponible sur mon blog).



C’est dans une usine de production porchère qu’elle va expérimenter l’instruction. Quinze mille porcs entassés qui ne verront jamais la lumière du jour et ne vivront que six mois. Ce sont les condamnés. Pour que la productivité soit à son apogée, balayons l’empathie, les sentiments et les larmichettes. Ils sont six porchers à travailler dans cette usine. Comment font-ils pour travailler dans cet enfer? Comment font-ils après, la nuit ? Avec leur femme, leurs enfants? Parce que pour Isabelle ça va mal. Les images de cette usine la hantent et la plongent dans des nuits turbulentes, cauchemardesques. La réalité à l’extérieur n’est pas mieux. La narratrice voit et analyse tout. Pourquoi une mère peut-elle rassurer son enfant qui pleure alors qu’on arrache les porcelets à leur mère seulement après trois semaines et ça crie, ça hurle. Empathie, empathie…



C’est un roman drastiquement d’actualité mais qui mérite toute notre concentration. De nombreux passages m’ont demandé plusieurs relectures tant ils étaient complexes mais toujours pertinents. Il donne matière à réfléchir sur nos habitudes alimentaires, nos vies qui vont trop vite, notre rapport aux animaux.



Dans l’ensemble, L’instruction est un très bon livre qui se lit véritablement comme une expérience introspective à part entière. Ce livre, il faut en faire quelque chose. Ne le lisez pas pour vous détendre, là n’est pas sa mission à mon humble avis. Lisez-le pour vous connecter à votre âme, à l’essence même de vos émotions, pour écouter et réfléchir à votre mode de vie, penser un peu plus au bien-être animal, réapprendre l’empathie. Lisez-le pour l’érudition qui s’en dégage et en fait une très grande déclaration d’amour à la littérature.



« Au moment où j’écris ces lignes, la Terre flambe et des oiseaux morts tombent du ciel. Aux portes de nos villes, les villes animales prolifèrent comme autant de cercles de l’enfer. Quant à nous, nous courons, courons comme de grands animaux égarés ».
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Le complexe de la sorcière

La narratrice, la quarantaine, est poursuivie par la vision d’une sorcière. Intriguée, elle se lance dans une recherche documentaire sur les persécutions dont furent victimes quantité de femmes en Europe au prétexte de sorcellerie. Simultanément, lui reviennent en mémoire de douloureux souvenirs de son adolescence, traumatisée par plusieurs années de harcèlement scolaire.





Dès les premières lignes s’installe le sentiment de parcourir un récit autobiographique, mêlé à une réflexion sur l’hypothèse d’un lien entre une expérience de harcèlement vécue par la narratrice, et les traces qu’aurait laissées la persécution des sorcières, autrement dit des femmes, dans nos esprits modernes.





J’aurais bien aimé profiter davantage des investigations de l’auteur sur le thème des chasses aux sorcières, et trouver dans ce livre une analyse plus aboutie et mieux argumentée de ce qui a les a motivées. Sur ce point, j’avais trouvé bien plus intéressant l’épilogue de la trilogie des Dames de Brières de Catherine Hermary-Vieille : alors oui, les sorcières ont été inventées par peur de la différence et par volonté de soumettre les femmes trop indépendantes au pouvoir masculin et religieux.





Et oui, peut-être peut-on, à la rigueur, y voir une vague similarité avec les processus actuels de rejet de la différence au travers du racisme, de l’homophobie, de la misogynie, du harcèlement : la différence n’est toujours pas comprise ni acceptée de tous, elle génère encore des comportements violents et de la persécution.





Mais de là à affirmer, sans autre argument qu’une vision persistante, que nos comportements actuels sont inconsciemment influencés par les chasses aux sorcières vieilles de quatre siècles, qu’au travers de l’épigénétique nous en avons tous hérité un traumatisme qui impacte nos comportements, qu’en l’homme sévit un inquisiteur en puissance et que les femmes sont désormais conditionnées au rôle de victimes brisées psychologiquement, ce qui expliquerait le harcèlement subi par la narratrice adolescente, il y a un raccourci qui prête presque à rire.





Les souffrances et les séquelles psychologiques de la protagoniste du livre, son douloureux parcours vers la reconstruction au travers d’une longue psychanalyse, ne peuvent qu’émouvoir et éclairer la nécessité de rompre le silence qui entoure encore souvent les drames du harcèlement, aujourd’hui démultipliés par les réseaux sociaux. L’on comprend le mal-être de l’adulte qui a dû se construire sur cette blessure, mais l’on s’inquiète de le voir s’accrocher à ce qu’on pourrait qualifier d’élucubrations, pour tenter de parvenir à l’équilibre. La narratrice s’intéresse à toutes les théories d’analyse psychologique, dont notamment les très récentes épigénétique et psychogénéalogie, et à toutes les pratiques de développement personnel à la mode, dont la méditation et les retraites sous la férule d’un maître zen. Elle semble avoir tiré de sa quête un étrange salmigondis de convictions parfois fantaisistes qui, à défaut de réalisme, l’aideront peut-être à vivre mieux.





En tous les cas, ce livre singulier construit sur des raccourcis hasardeux me paraît avoir pour principal intérêt le sujet du harcèlement et des durables blessures psychologiques qu’il occasionne, bien plus que les histoires de sorcières abordées sous un angle à mes yeux trop fantaisiste.


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La faille

Mon année littéraire 2015 , initiée avec un superbe recueil de nouvelles de John Burnside ( "Something like happy" ),s'achève avec le roman époustouflant d'Isabelle Sorente.

Écrire une critique sur ce livre s'avère difficile, tellement il est riche en thèmes,reflexions et analyses.

En 1980, Mina Liéger,16 ans rencontre Lucie Scalbert, de quatre ans sa cadette. Deux filles à l'intelligence hors paire, elles sont voisines , fréquentent le même lycée et vivent seules avec leurs mères. Mina donne des leçons de français et de maths à Lucie, elles deviennent amies.

Un incident va les séparer pour vingt ans.....À leur seconde rencontre ,Mina est devenue écrivaine ( le sosie de l'auteur), Lucie comédienne, et entre elles un homme,l'ami de l'une ,l'amant de l'autre.Lucie disparaît à nouveau, pour réapparaître cinq ans plus tard, mariée et "abîmée"....Et là entre en scéne, le personnage diabolique de VDA, le mari, un personnage dont l'assassinat est annoncé dès les premières pages....

C'est un roman psychologique extrêmement fouillé, superbement écrit et construit.

Le titre annonce la trame du récit, "la faille". Une faille , plutôt profonde, que chaque personnage du roman possède, et dont ils en sont plus ou moins conscients. Ils essaient d'y remédier par le biais de leur profession et de leur vie privée, utilisant la manipulation et l'imposture à l'extrême.Et plus ils sont intelligents, plus la faille s'approfondit et plus ils vont faire du mal à eux-mêmes et à leurs proches.

Le génie de l'auteur tient au fait que durant 500 pages elle maintient la tension, multipliant les fausses pistes, jouant avec les mots, les mots auxquels elle donne le plein pouvoir.

Sa façon de nommer ses personnages, les mettant dans des bulles aseptisées comme s'ils étaient sous cellophane,sans vie.... est étrange et fascinant,du moins c'est ce que j'ai ressenti.

Les parents n'ont pas la part belle dans ce roman...à dire que toutes les mères sont des imposteurs, ambitieuses, avec peu d'égard et presque pas de véritable amour pour leurs enfants,et les pères souvent aux abonnés absents ,sont ignorés ou méprisés...( un trait autobiographique?).

Pour finir, la manipulation du lecteur est aussi, très réussie! Jusqu'à la fin, on hésite à aimer ou non , à éprouver ou non , de la compassion, de l'empathie pour chacun des personnages.

J'ai été un peu dérouté par l'atterrissage en douceur de la fin après toute cette tension. Mais Sorente est tellement brillante que je pense que c'est fait exprès,tout réfléchie.

Un livre de la rentrée littéraire 2015 qui à mon avis est resté dans l'ombre, à découvrir très très vite si non déjà fait !
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L'instruction

D'Isabelle Sorente, je voulais lire « La femme et l'oiseau », sorti en 2021. Alors, lorsque l'équipe de Babelio m'a proposé la lecture du dernier livre de l'autrice, je me suis dit que c'était l'occasion de découvrir cette autrice.



Ce livre singulier se situe entre le roman initiatique, l'autobiographie, le témoignage, et l'essai. Il s'agit d'un récit très personnel, je dirais presque intime de l'autrice. Elle s'y dévoile avec beaucoup de délicatesse et de pudeur.



*

En 2008, à la suite d'un Burn-out professionnel, Isabelle Sorente décide de réagir, de reconsidérer sa vie dans son entièreté, d'être davantage à l'écoute de son corps, d'opter pour un style de vie différent fondé sur l'empathie, le respect, la compassion.

Pour l'autrice, cette recherche de sens ne peut se dissocier d'une quête spirituelle profonde. C'est en écoutant un lama tibétain énoncer un précepte bouddhiste qu'elle va enfin trouver la direction qu'elle souhaite suivre. Cette instruction consiste à s'imaginer à la place d'un animal conduit à l'abattoir.



« Se mettre à la place de l'autre ne consiste pas à parler à sa place. Se mettre à la place de l'autre ne consiste pas à substituer sa subjectivité à la sienne. C'est ça, l'anthropomorphisme, l'abus de pouvoir éternel de celui qui parle sur celle qui est privée de parole. Se mettre à la place de l'autre consiste à créer une image. Une image tremblante, furtive, qui n'est ni moi ni l'autre, mais notre échange de regard, le croisement imaginé de nos deux perceptions. »



Cet exercice d'empathie pratiqué par d'anciens maîtres tibétains a pour but de mieux appréhender le monde dans lequel on vit, trouver un sens à ce qui nous entoure, entrer en relation avec le monde vivant, resserrer notre lien avec l'animal.



*

« L'animal de ma visualisation commence à prendre forme. Ce sera une femelle et ce sera une truie. D'abord pour une raison pratique, les images les plus faciles à trouver, au moment de mes recherches, sont celles d'élevages de porcs. Ce sont elles qui m'impressionnent, elles qui laissent une empreinte dans mon imaginaire. »



C'est en voulant adopter la perspective de cet animal qu'Isabelle Sorente va entamer des recherches sur l'élevage intensif, puis continuer son enquête à l'intérieur d'une structure de production de porcs, puis d'un abattoir.



Les portes insonorisées s'ouvrent et nous pénétrons dans un monde de non-dits et de tabous, un monde caché, dissimulé tout près de chez nous, un monde que nous faisons mine de ne pas voir, celui de l'élevage industriel.

Avec Isabelle Sorente, nous « descendons » dans les bâtiments, et c'est une vraie descente aux enfers.



*

Comment ne pas être ému, touché, remué, bouleversé, glacé par un tel récit ?



Cette immersion est visuelle, auditive, olfactive. Défile devant nos yeux, la vie de ces animaux, déjà morts avant de naître.

L'écriture est délicate, poétique, empreinte d'humanité et de sensibilité, mais étonnamment, elle est aussi emplie d'une force incroyable, pour nous raconter le parcours des porcs : elle nous décrit le prélèvement de la semence des verrats, l'insémination des mères, la naissance des petits, leur engraissement jusqu'à leur mise à mort.



Comment ne pas ressentir de l'empathie pour ces truies encagées, prisonnières de leur ventre, devenues des machines vivantes destinées à produire une quinzaine de porcelets qui produiront à leur tour une tonne et demi de viande ?

« Je me demande ce qu'elles voient et l'épouvante arrive sans prévenir, comme devant un masque sur le point de tomber, un miroir vivant, frémissant, s'apprêtant à divulguer un reflet monstrueux. Car quoi qu'elles voient, ce sont elles qui ont raison. Elles sont si bouleversées, si inquiètes, si nombreuses autour de moi, sans compter les petits qui alourdissent leur ventre, si nombreuses qu'à cet instant leur vision submerge mon identité. Qui suis-je … ? L'intruse, la romancière, la narratrice sans visage, l'une des personnalités que je trimballe dans les couloirs comme une trinité dissociée, ou quelqu'un d'autre, quelqu'un dont je ne sais rien, la gardienne qui les surveille, le démon qui les harcèle dans un cercle de l'enfer. »



Et puis, il y a la petite cochette Coré. Isabelle Sorente va croiser son regard doux, grave et profond, elle va y lire beaucoup de choses : le désir de communiquer, l'intérêt, la confiance.



« Coré 9887 a ouvert un passage dans ma tête, comme ces grands animaux farouches dont rêvait Carl Jung dans ses nuits tachycardes. Je n'arrête pas de penser à elle, je n'arrête pas de penser aux quinze condamnés grandissant dans son ventre... »



*

En réalisant cette instruction, l'autrice va être amenée à s'interroger sur sa condition d'écrivain, sur le travail littéraire, l'honnêteté de l'écriture, la littérature.



« À quoi bon écrire si la littérature ne peut rien pour Coré ? Si les mots ne peuvent entrer à l'intérieur de la structure, s'ils ne peuvent s'immiscer à l'intérieur des cages, s'ils ne rejoignent pas les condamnés dans l'obscurité – à quoi bon ? Si Coré n'a pas d'âme, la littérature ne peut rien pour elle et c'est mon âme que je renie. C'est mon âme que je renie si les bêtes n'ont pas d'âme.

Mais si les animaux ont une âme, Coré 9887 est en enfer. »



L'autrice n'hésite pas non plus à parler de ce monde dans lequel nous vivons, un monde de performance, de domination et de frénésie, un monde qui perd sa beauté, qui s'affadit et dans lequel on se perd peu à peu.



*

Ce livre a eu une grande résonnance en moi. Certaines réflexions sur la vie m'ont permis de cheminer dans mes questionnements personnels. Ma trop grande sensibilité a fait de cette lecture un exercice difficile, bouleversant mais salutaire.

Un très beau récit, sombre, fort, dur, réflexif.



*

Je remercie infiniment les éditions JCLattès, ainsi que Babelio pour leur confiance. Recevoir un livre est toujours un immense plaisir. Vous m'avez permis de découvrir une autrice talentueuse, dont j'ai aimé l'écriture et les idées. Je ne manquerai pas de poursuivre avec « La femme et l'oiseau ».
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La faille

"J'ai eu du mal à m'endormir, cette nuit - là, la femme sèche et blessée que Lucie était devenue me fascinait autant que la comédienne, autant que l'enfant qu'elle avait été .....

Je l'aimais d'être si droite....

Je l'aimais pour son obéissance rigoureuse aux lois de l'âme , je l'aimais et j'avais peur que mon honnêteté ne vaille pas la sienne ....

Il faudrait que je la prévienne , si je la revoyais , si elle se confiait à moi, que ma Morale ne résisterait pas à l'envie d'écrire un Roman...."

Voici un roman psychologique où la narratrice", double", "sosie" de l'auteur en quelque sorte

conte la rencontre et l'amitié entre Lucie Scalbert et Mina Liéger, l'une deviendra écrivain, l'autre comédienne...Lucie, une jeune femme - enfant fragilisée par une mére psycho - rigide ....

Je ne m'étendrai pas sur le déroulement de l'intrigue qui nous tient en haleine : menace diffuse, ombre d'un drame qui se profile .

C'est un roman dense qui étudie au plus près les rapports humains dans leur complexité , hypocrisie, emprise psychologique , sorte de vampirisation qu'exerce VDA sur sa compagne, redoutable et feutrée, angoissante et déstabilisante,lente et progressive descente aux enfers de Lucie, le méchant VDA manipulateur, tyrannique , cynique , calculateur doucereux, pervers et dangereux ...sa voix tendre et douce, fausse , entretenant une atmosphère lourde comme frelatée , un personnage diabolique , trompeur et fascinant .....

L'auteur entretient les fausses pistes, étudie avec finesse et talent les rapports humains et leurs ambiguïtés, décortique les obsessions , les errements, traque les failles béantes ....les pièges de la trajectoire amoureuse , les noeuds des relations mère - fìlle , ( les parents dans ce roman ne sont pas épargnés ) , l'envie incoercible de plaire .

La trajectoire de l'amie d'enfance piégée, devenue une proie : déstabilisée, angoissée, prise dans la souricière d'une relation perverse, à la fois répulsive et insidieuse ,une toile d'araignée où humiliations ,mensonges permanents , cruauté et narcissisme dominent.

Destructeur, rédempteur , glacant et habile , cruel et romanesque !

Pas facile à critiquer cet ouvrage !

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La faille

Voilà un roman dense, touffu, aux personnages cliniquement étudiés (les principaux comme les secondaires) et aux actions précisément décortiquées. C’est lourd, étouffant, sans respiration dans l’écriture et la disposition du texte. Mais paradoxalement, jamais je n’ai eu envie de lâcher ce roman tant la tension est prenante et addictive.



J’aime ce genre de roman épais, avec « de la mâche », où il faut prendre le temps de décortiquer personnages et actions pour accomplir avec eux le cheminement nécessaire à la connaissance des tenants et aboutissants, car dès les premières pages le lecteur est averti de la mort du mari pervers narcissique. Et même si ce rôle est important, ce n’est pas le sujet de ce roman fort, mais bien le degré de responsabilité et la route empruntée par tous les acteurs jusqu’au drame final. Une vraie étude psychanalytique des personnes, même si l’auteure s’en défend. Mais pas de doute, Isabelle Sorente est un vrai écrivain et je suis ravie d’avoir été volontairement sous l’emprise de sa plume.





C’est en 1988 que Mina, seize ans, et Lucie, douze ans, deviennent amies. Elles le resteront même si les échanges entre elles seront marqués par de longues plages d’absence mais jamais d’oubli. Une relation pleine de fascination réciproque et d’amitié sincère. Et c’est en 2014 que le mari de Lucie trouvera la mort...
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La faille

Si l'on devait matérialiser la vie, un long fil serait une image assez juste. Il serait ponctué de nœuds, plus ou moins serrés, plus ou moins rapprochés symbolisant les obstacles que l'on a rencontrés. Le fil de la vie de Lucie serait jalonné de montagnes de nœuds. Une mère difficile, l'envie de plaire, et puis VDA. Ce serait le plus gros, celui à cause duquel le fil pourrait se rompre.



Le roman d'Isabelle Sorrente commence comme tous les romans. On pourrait même imaginer un début à la « Il était une fois ». Il était une fois deux enfants, séparées par quelques années, qui se lièrent d'amitié. L'une avait la beauté d'un elfe et des cheveux de lumière, l'autre l'intelligence d'un ange. Ce pourrait être un bon début. Mais comme dans toutes les histoires de ce genre, il y a un méchant. Un très grand méchant. VDA.

Parce que finalement, si les contes ont un fond de vérité, il en va de même pour cette histoire. Ces nœuds qui peuvent rompre le fil, tout le monde peut les rencontrer.



Mina et Lucie sont amies d'enfance. Lucie a tout pour être heureuse, en apparence. Les apparences sont essentielles, elles empêchent de voir ce qui est fêlé. Et la vie de Lucie est fêlée. Derrière sa chevelure éclatante se cache une faille profonde : cette envie démesurée de plaire. Plaire à sa mère qui ne la pense pas assez intelligente, plaire à ses camarades qui la regardent bizarrement.

Mina, quant à elle, a l'intelligence, mais elle a du mal à trouver sa place. Elles se rencontrent, une amitié naît. Mais le fleuve de la vie est sinueux et les sépare.



Les années passent, elles se construisent, dans la distance. Des retrouvailles et rien n'a changé. Ou plutôt tout a changé. L'éclat de Lucie s'est terni, sa chevelure s'est éclaircie. Elle est mariée désormais à un homme à qui tout réussit. Vincent-Dominique Arnaud. VDA. Il est fou amoureux d'elle. Du moins, tant qu'elle reste sous son joug. VDA est un méchant de la pire espèce, c'est un manipulateur, passé maître dans l'art de la violence psychologique.



C'est une histoire effrayante que nous livre l'auteure.



Ce récit dense se construit progressivement, lentement, comme la vie. De longues pages s'égrainent sans dialogues, et quand ces derniers arrivent, ils n'apportent pas la libération désirée. Les mots ne peuvent pas libérer, ils sont oppressants, comme ce fil de la vie qui s'enroule autour du cou de Lucie et qui serre, qui serre...



On a beau se protéger derrière la cuirasse de la fiction, se dire que cela ne nous arriverait jamais, on sait très bien que l'on se ment. Parfois, nos routes croisent celle de la mauvaise personne, et en sortir indemne est impossible. La seule issue est s'en sortir tout court.



L'écriture de l'auteure m'a fascinée. Cette distance prise avec les faits grâce à Mina à travers laquelle nous vivons le récit n'a pas empêché la répulsion envers VDA d'éclater. L'exaspération vis-à-vis de la Lucie des premières pages a fait place à une compassion qui m'a étreint le cœur. Cette lente descente aux enfers, presque méthodique m'a fait serrer les poings. L'horreur n'arrive pas d'un coup, elle se prépare.



Isabelle Sorente nous livre un roman d'une force incroyable, un roman marquant, de ceux dont on se souvient encore des années durant. Ces pages poussent à la réflexion. On peut tous être des victimes, et démêler les nœuds du fil de la vie s'avère être une tâche bien plus ardue qu'il n'y paraît.
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La femme et l'oiseau

Un coup de coeur auquel je ne m'attendais pas ! En effet, c'est la belle illustration et le titre qui m'ont attirée, j'ai à peine lu la quatrième de couverture et je ne connais pas l'auteure.



Eh bien, ce livre m'a passionnée ! Trois personnages, de la même famille, vont peu à peu se révéler à nous et à eux-mêmes , très subtilement, en reliant passé et présent.



Thomas, le grand-oncle au regard si pénétrant et vif, en dépit de ses quatre-vingt onze ans.



Elisabeth, sa petite-nièce , business woman épuisée et mère inquiète.



Vina, sa fille, adolescente de quatorze ans surdouée et hypersensible, aux réactions parfois violentes.



C'est justement suite à une menace d'agression envers un autre élève que Vina se retrouve exclue de son lycée. Elisabeth décide de partir avec elle dans les Vosges chez Thomas, qu'elle n'a plus vu depuis longtemps et avec qui elle a eu enfant un lien particulier.



Je ne souhaite pas en dire plus sur l'histoire, ce serait dommage. Ce roman atypique et tout en sensibilité est à découvrir par soi-même. Il mêle analyse fouillée des personnages, pan d'histoire cruel , quête identitaire et magie fusionnelle entre l'homme et l'animal.



J'ai aimé tout particulièrement Thomas, tendre jeune homme au don unique, pris dans la tourmente de la guerre contre son gré, hanté par ses souvenirs mais toujours aussi émerveillé par les beautés de la nature.



Je le conseille vivement, ce livre original, prenant et poétique!





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La faille

Elle interpelle, cette couverture montrant une étreinte entre deux jeunes femmes. Émergent-elles de l'eau ?

Sont-elles amies ? amantes ? soeurs ?

Le nom de l'auteur, Sorente, m'a évoqué le pseudo italien Elena Ferrante. Il ne m'en a pas fallu davantage pour imaginer une histoire proche de celle des deux Napolitaines dans 'L'amie prodigieuse' et être tentée par cette lecture.



Lucie a 12 ans et Mina 16, lorsqu'elles commencent à se côtoyer. Elles sont voisines, la seconde donne des cours particuliers à la première, la 'petite' est un peu à la traîne dans certaines matières, et surtout inhibée par les exigences et les piques maternelles.



Très vite, apparaissent des relations compliquées : chacune avec sa mère, mais aussi avec les hommes qu'elles rencontreront plus tard.

Leur amitié connaît de longues pauses, mais c'est un phare dans les tempêtes ; Lucie et Mina se consolent ensemble de leurs mères impitoyables, et de leurs compagnons difficiles à vivre.



Je ne connaissais pas Isabelle Sorente (pourtant chroniqueuse sur France Inter), elle m'a époustouflée. Je trouve ce texte aussi brillant qu'exigeant, cette plume mérite un effort continu du lecteur - presque sans pause, la ponctuation se faisant rare et les dialogues n'étant pas marqués.

J'ai apprécié les propos sur le couple et les relations de pouvoir entre partenaires, les réflexions sur la filiation, les relations mère-fille, l'amitié, les exigences professionnelles, et en filigrane, sur la 'manif pour tous'...

Cela dit, cette vision du couple est tellement sombre et dérangeante, que je ne conseillerais pas cet ouvrage à des adolescents ou de jeunes adultes.



Petit flottement à la fin, je ne suis pas certaine d'avoir compris le dernier message de celle qui s'épanche à son amie.



• Merci à Diablotin pour cette idée de lecture ! 😊
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La femme et l'oiseau

Elizabeth est à la tête d’une société de production. Femme volontaire et courageuse, elle mène de front sa carrière professionnelle et sa vie personnelle auprès de sa fille Vina.

Tour bascule lorsque l’adolescente est renvoyée de son lycée pour avoir menacé un camarade avec un couteau.

Elizabeth pense aussitôt que son grand-oncle Thomas est le seul a pouvoir lui donner la protection dont elle et Vina ont tant besoin.

Thomas est hanté par ce qu’il a vécu pendant la guerre. Il faisait partie de ces soldats originaires d’Alsace ou de Moselle enrôlés de force par l’armée allemande, que l’on appelait « Les malgré-nous. »

Vina, Elizabeth, Thomas vont apprendre à se connaître, à s’apprivoiser, à s’entraider.



Isabelle Sorente tisse l’histoire de chacun avec beaucoup de tendresse. On ne peut qu’aimer ces êtres aux grandes qualités humaines.

« La femme et l’oiseau » est un magnifique roman sur la vie, le destin, sur comment on grandit et comment on choisit de grandir, ce qu’on veut faire de sa propre vie.

L’écriture est pleine de douceur et de poésie. J’ai tellement aimé suivre Thomas et Vina au milieu d’une nature magnifique à la rencontre de l’oiseau.

Je remercie très vivement NetGalley et les Editions JC Lattès pour ce partenariat.

#Lafemmeetloiseau #NetGalleyFrance !



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Le complexe de la sorcière

Dès les premières lignes, j'ai eu l'impression de pénétrer dans l'atelier d'écriture d'Isabelle Sorente. Comme si, tapie dans l'ombre, j'avais assisté à l'apparition de cette sorcière qui s'impose dans l'esprit de l'autrice.

Le livre est annoncé comme un roman. La narratrice, quant à elle, évoque le terme d'auto-fiction sans pour autant catégoriser catégoriquement... Je suis tentée de le voir comme un roman autobiographique mais la clé, seule Isabelle Sorente la connaît.

Je dis "la narratrice" parce que malgré un grand nombre d'éléments qui laissent penser que la narratrice et l'autrice ne sont qu'une seule et même personne, il faut attendre une centaine de pages avant qu'elle ne dévoile son prénom : Isabelle.

Un prénom trop peu entendu dans sa jeunesse, un prénom qui ne se formulait pas sur les lèvres de ceux qui ont tenté de l'abîmer durant son adolescence. Un prénom qu'elle se réapproprie et qu'elle honore en se réhabilitant.

Et cette réhabilitation s'opère par le truchement de la sorcière (imagination résurgence?) qui s'impose à elle. Cette dernière fait émerger le passé enfoui de l'autrice, elle fait résonnance et aiguise son regard jusqu'à lui brûler les rétines et enfoncer les portes closes de sa conscience. Cette sorcière est la clé dont Isabelle Sorente se saisit afin de lever les derniers verrous.

J'ai adoré ce roman et je m'y suis reconnue. J'y ai reconnu les femmes de ma famille et celles qui m'entourent. J'y ai reconnu des hommes aussi. À mesure que les pages se tournaient, je m'apercevais de l'universalité de cette quête. Et c'est vertigineux.

C'est un livre que je trouve très précieux, si précieux qu'il ne me vient pas à l'idée de le conserver jalousement dans ma bibliothèque mais plutôt de le faire passer de mains en mains, de le faire vivre comme les sorcières chassées et massacrées l'auraient mérité. Vivre comme toutes les personnes bafouées, harcelées et humiliées le méritent.

Les siècles passent, la traque change de mode opératoire, parfois beaucoup et parfois sensiblement. Mais les maillons qui forment les chaînes s'érodent, se rouillent et deviennent si fragiles qu'il suffit d'une dernière impulsion, celle du choix de la vie ou l'optimisme irraisonné, pour les briser.

Je pourrais parler de l'autrice en la nommant par son nom de famille comme il est d'usage avec les écrivains. Mais, bien que son statut d'écrivaine ne soit pas à débattre, je tiens à la nommer par son prénom d'abord et par son patronyme ensuite.

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Le complexe de la sorcière

Une sorcière en analyse



Dans ce roman, Isabelle Sorente raconte comment elle s’est passionnée pour les sorcières, leur histoire et leur statut. Des recherches qui vont heurter sa propre histoire et la pousser vers les secrets de famille.



Il n’est pas rare, en parlant avec les écrivains, de voir combien ils restent habités de leur histoire, combien ils continuent à cheminer avec leurs personnages, même bien après la parution de leur roman. C’est un semblable cheminement que raconte Isabelle Sorente, qui va littéralement être happée par son sujet au point de n’en plus dormir la nuit, au point qu’il va occuper toutes ses journées jusqu’à tourner à l’obsession. Tout commence par la vision d’une femme qui subit un interrogatoire et qu’elle a envie d’écrire. Une vision qui va réapparaître après une conversation avec son amie Sarah. Dès lors, le sujet ne va plus la lâcher, même s’il semble aussi la fuir: «J’ai commencé à me documenter, commandé des livres d’histoire. Pourtant rien ne se passe comme pour la construction d’un personnage. Je n’imagine rien d’elle, rien d’autre que ses yeux ouverts dans l’ombre, je n’ai toujours aucun nom ni aucun lieu, même si l’époque se précise un peu. Les seules scènes qui m’apparaissent sont des souvenirs. Souvenirs d’enfance, d’adolescence, de jeunesse, souvenirs que la sorcière semble évoquer, les rappelant à ma mémoire bien qu’ils n’aient rien à voir avec le destin de ces femmes accusées par leurs voisins, ces femmes questionnées avant d’être bannies, noyées ou brûlées vives».

Le roman qui se construit sous nos yeux va dès lors prendre trois directions, toutes aussi passionnantes les unes que les autres. Il y a d’abord le sujet en lui-même, qui intrigue autant qu’il fascine et dont on va découvrir, au fil des lectures d’Isabelle Sorente, toutes les facettes, à commencer par son aspect presque exclusivement féminin, même si des hommes furent aussi brûlés comme sorciers. «C’est cette réalité que traduit l’expression chasse aux sorcières. On ne dit pas chasse aux sorciers. Il existe une expression dans la langue française où le masculin ne l’emporte pas, c’est la chasse aux sorcières. C’est étrange, quand on y pense.» Une chasse qui va s’industrialiser avec le développement de l’imprimerie. En 1487 paraît le Malleus Maleficarum de Heinrich Krämer et Jakob Sprenger «premier best-seller de l’époque moderne» et véritable appel au crime largement diffusé. Durant les siècles qui suivent des dizaines de milliers de femmes vont été arrêtées, accusées, torturées et exécutées. Le panorama proposé et les affaires retracées en montrent le côté systématique ainsi que le cruauté.

Il n’est dès lors pas étonnant que ces recherches finissent par la hanter. Et c’est là le second aspect du roman, l’implication personnelle de la romancière qui veut comprendre pourquoi elle est si sensible à cette question, pourquoi elle sent dans son propre corps les souffrances et la douleur de ces femmes. Elle va alors se confier à ses amies proches Sarah et Claire, avec lesquelles elle partage ce sentiment que ce qu’elle vit fait partie intégrante de son travail: «L’intégrité, l’éveil, l’amour, les mots peuvent varier mais ce qui ne varie pas, c’est l’importance centrale de cette recherche dans nos vies». Les séances d’analyse avec le Docteur Georges constituent le second volet de cette introspection qui nourrit le roman. Les souvenirs d’enfance, l’histoire familiale, les relations avec ses père et mère s’éclairent au moment où elle croise le chemin des sorcières, «Toutes celles qui cherchaient la vérité. Et même les femmes ordinaires qui voulaient juste la dire».

Autrement dit, Isabelle Sorente prend conscience qu’elle est une sorcière d’aujourd’hui. Et c’est peut-être cette troisième direction prise par ce roman très riche qui est la plus fascinante. Car elle permet de comprendre combien ces femmes restent dangereuses parce que différentes, combien leur combat reste actuel face aux mâles dominants et pourquoi elles restent victimes d’un ostracisme violent. Et à l’inverse d’intégrer une communauté, d’agréger toutes celles qui entendent s’émanciper des règles officielles. Doris Lessing, Christa Wolf, Ingeborg Bachmann vont ainsi cheminer avec Isabelle Sorente. Avec elles, la peur va peut-être pouvoir changer de camp et ouvrir le champ des possibles…




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La faille

La faille d'Isabelle Sorente est un roman aux aspects psychologiques et sociologiques très marqués.

L'histoire commence par l'amitié entre Lucie, très jolie lycéenne issue d'un milieu aisé et Mina (la narratrice) qui va être fascinée par sa beauté et son milieu de vie.

Lucie va déménager, elles se retrouveront 20 ans pus tard. Si Lucie est toujours aussi jolie, elle ne cesse de douter, toujours dans la crainte de ne pas être aimée, Mina quant à elle, sait et ose s'affirmer. Toutefois, Lucie séduira l'ami de Mina puis disparaitra pendant 5 ans. Cette fois, lorsqu'elles se reverront, Lucie sera amaigrie, ses cheveux tombent, elle est sous l'emprise de son mari.

Tout va alors tourner autour de la domination psychologique de VD (le mari) sur Lucie.

Les personnages sont attachants ( exception faite de VD) mais l'atmosphère du livre est oppressante et contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques, je ne le trouve pas facile d'accès. C'est un très bon livre incontestablement mais qui n'a pas pour fonction de distraire.
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Le complexe de la sorcière

Cela faisait un moment que ce livre traînait dans ma PAL et je me suis dit qu’il était temps de l’extirper… Je découvre la plume de l’auteure avec ce livre, et je dois dire que j’ai été assez surprise.



Le livre s’ouvre sur l’interrogatoire d’une femme accusée de sorcellerie. Cette vision devient obsédante au point que l’auteure débute une enquête sur les chasses aux sorcières qu’elle va croiser avec notre époque.



Je trouve très subtile l’utilisation du concept de la sorcière à travers l’Histoire et dans notre société contemporaine. Elle porte donc un regard intéressant sur l’utilisation du terme « sorcière » ainsi que son évolution au fil du temps, passant de l’imaginaire des chasses aux sorcières du Moyen Âge à des connotations plus modernes de féminisme, d’émancipation et de revendication du pouvoir féminin.



L’auteure aborde plusieurs facettes du concept de la sorcière et de sa signification dans différents contextes culturels, elle part du postulat que ces femmes « sorcières » étaient souvent des personnes désignées comme subversives, remettant en question les normes et le pouvoir établis. Elle aborde également les liens entre la sorcière historique et les mouvements féministes contemporains, tout en mettant en lumière un parallélisme entre les persécutions passées et les défis auxquels les femmes font encore face aujourd’hui, ainsi que l’importance de la résistance féminine à travers les âges, tout en apportant une perspective nouvelle et intéressante sur la sorcière en tant qu’archétype culturel.



En filigrane, c’est la mémoire transgénérationnelle comme décodage biologique avec l’empreinte que la chasse aux sorcières aurait laissé, de manière inconsciente, chez les femmes, identifiant ainsi les schémas transgénérationnels en lien avec les femmes d’une même famille.



La thèse du complexe de la sorcière est audacieuse, et même si parfois, elle peut faire sourire, on peut dire que la psychogénéalogie peut apporter une réponse qui peut sembler intéressante.



Un livre étrange et instructif à la fois…



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Le complexe de la sorcière

***,*



Lorsqu'une sorcière apparaît, jour après jour, dans les rêves de la narratrice, commence alors pour cette dernière une nouvelle quête. Alors qu'elle est déjà en plein questionnement, cette femme aux yeux transparents, et les tortures qu'elle a subi, pousse la narratrice à aller plus loin dans ses réflexions, au-delà d'elle-même...



J'avais tout d'abord été attirée par la couverture et le titre énigmatique de ce livre. Je m'y suis lancée sans trop chercher à savoir ce qu'il racontait. J'ai lu quelques chroniques au fil des blogs et mon intérêt est allé grandissant.



J'ai été déroutée par cette lecture. Tout d'abord parce qu'il ne s'agit absolument pas d'un roman, ni d'une autobiographie pour moi. Ce n'est pas véritablement une autofiction, ni tout à fait un essai. J'ai plus de facilité à dire ce qu'il n'est pas, plutôt qu'à dire ce qu'il est.



Ce sont peut-être simplement les réflexions d'Isabelle Sorente, ses recherches et ses travaux, ses souvenirs, et les rapprochements qu'elle établit entre l'histoire des sorcières et nos propres vies.

J'ai aimé sa façon de nous exposer les faits, de revenir sur les chasses aux sorcières, le contexte et l'oubli. J'ai été absorbée ensuite par ses souvenirs, ses souffrances et ses introspections, la façon pudique qu'elle a eu de nous les offrir.



Enfin, j'ai trouvé très intéressant l'idée de cette ligne transgénérationnelle, le partage des douleurs, des frayeurs et des blocages qui aujourd'hui rendent les femmes toujours craintives mais battantes, avec une confiance en soi toujours fragile mais qui se relèvent toujours.



Je pense qu'il serait bon que ce livre reste sur nos tables de chevet, et qu'on vienne y puiser un peu de force, un peu de courage et beaucoup d'amour...



Merci à NetGalley et aux Éditions JC Lattès pour leur confiance...
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180 jours

A la lecture de la quatrième de couverture, je ne me sentais pas motivée. La naissance et la mort d’un porc dans un élevage, voilà un sujet qui ne m’emballait guère.

Et puis me voilà embarquée dans cette porcherie, et, contre toute attente, ça se révèle passionnant.

Surtout avec ces deux hommes, Martin, professeur de philosophie et Camelia, chef d’élevage dans une porcherie industrielle à la sensibilité exacerbée, qui se sont reconnus dès la première rencontre alors que cette rencontre était improbable.

Leur véritable amitié est finement dépeinte.

Tant les sentiments que les situations ou les descriptions sont analysés par une plume précise et incisive.

Outre la prise de conscience de l’atrocité de ces élevages industriels, les conséquences sur le comportement humain y sont mises en exergue.

La lecture file, page après page sans que rien ne vienne distraire l’attention, et le temps passe très vite sans la moindre trace d’ennui. Signe d’une véritable écriture et d’un bon roman.

Un livre dans lequel on plonge en immersion totale, qui nous fait lâcher prise avec notre quotidien, qui pose des questions fondamentales et ne nous laisse pas indemne.



Les progrès de l’industrialisation font jouer l’homme à l’apprenti sorcier. Mais où et comment cela finira-t-il ?

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L'instruction

Important : Témoignage et avis personnel à la suite de la chronique



Isabelle Sorente, découvre la méditation Tonglen. Cette pratique consiste à créer un lien positif entre soi et l'extérieur (donner-recevoir) permettant de développer la compassion.

Ici, cela consiste plus exactement à souhaiter du bien à quelqu'un qui souffre.

Pour ce faire, ce souhait doit être visualisé en imaginant la souffrance de l'individu jusqu'à sa guérison.



Isabelle, en plein burn-out pousse la porte de la petite librairie, chez Marianna, spécialisée dans la spiritualité. En quête de prier pour les autres et de devenir un peu moins égoïste, la libraire lui conseille cette fameuse méditation avec pour conseil de se souvenir de quelques situations intolérables ou elle aurait tout donné, pour que cesse la souffrance dont nous étions témoin.

Pour ce faire, elle va mener une enquête pour se retrouver dans un élevage de cochons ainsi qu'un abattoir de cochons en 2008, pour écrire ce témoignage et le partager aujourd'hui avec nous.



"Comparer les structures de production animale aux camps du vingtième siècle est une erreur, une erreur empêchant de voir ce qui se passe aujourd'hui, l'innovation de ce siècle, consistant à mettre délibérément au monde des millions de condamnés, à l'intérieur d'un autre monde dont ils sortiront jamais. Les priver de leur nature, de leur vie, de leur identité, les défigurer d'une défiguration totale, pour enfin les mettre à mort au terme de ce qui n'est jamais considéré comme une vie, cet acte de magie noire, sobrement résumé en un verbe - produire."



"Cette impression que tout ça n'est pas réel, que c'est une sorte de rêve blanc "



Personne n'est là pour les voir ni les entendre.



Isabelle a réussi à retranscrire ces lieux avec précision.



* TÉMOIGNAGE ET AVIS PERSO *



Ce roman réveil en moi une douleur comme on enlève un sparadrap sur une blessure n'ayant pas eu le temps de cicatriser. Ça me fait si mal que mes yeux et mon cœur pleurent encore...



Un mélange de tristesse et de rage est devenue ma seconde peau depuis que j'ai mis les pieds dans des abattoirs.

Lieux dans lesquels l'odeur de la mort vous colle à la peau. Lieux où ces êtres aux regards résignés attendent sagement en silence la mort, loin des yeux de celles et ceux qui vont se nourrir de leur chair dans les jours qui vont suivre.



Cette douleur profonde, d'avoir sauvé certains individus mais de n'avoir rien su faire pour les autres...

Aujourd'hui encore, comme pour l'auteure, il me suffit de fermer les yeux pour me souvenir en détails des lieux ainsi que de ces individus attendant que l'on leur tranche la gorge.



Le temps n'effacera jamais leur image. Ne plus y penser serait les oublier.



Je ne pouvais pas écrire un avis sur cet ouvrage sans vous parler de mon ressenti. De toute façon, à travers mon avis personnel, vous trouvez aussi les mots et ressenti de l'auteure.



Il est urgent de se réveiller et de regarder cette vérité qui fait mal.

L'ignorance est beaucoup trop confortable lorsqu'il s'agit de la mort d'êtres vivants... Il est facile d'ignorer ce que l'on ne voit pas et qui pourtant existe. Et puis il est préférable et plus facile de ne pas y penser.



À tous ces individus non-humains, je souhaite leur crier mon pardon. Pardon que mon espèce vous inflige cette souffrance en estimant avoir le droit de décider de faire de vous des produits de consommation ou bien de loisir...



Mes mots sont peut-être crus ou dérangeants. Mais j'espère sincèrement qu'ils résonneront en chacun pour éveiller la conscience et élever la considération envers ces êtres qui ne demandent qu'à vivre.



Tous ces êtres dont j'ai croisé le regard sont aujourd'hui morts.

Alors pour me réconforter, le mieux, c'est de me dire que leurs âmes sont loin de ce monde cruel et qu'ils ne ressentent plus de peur ni de douleur... délivrés enfin de la souffrance.



Tout comme Isabelle, j'ai essayé. Je suis allée aussi loin que j'ai pu. Mais j'ai échoué parce que je n'ai pas fait assez.



Si je n'avais jamais croisé leurs regards avant leur mort, je ne serai pas la même personne aujourd'hui.



C'est peut-être culotté de profiter d'une chronique pour faire passer un message. Mais quand cela vous hante depuis plusieurs années et qu'une auteure met les mêmes mots que vous sur un ressenti profond, il est impossible d'en faire autrement ou de se taire.



Pas de citation cette fois-ci, mais plutôt une déclaration.

À tous ces individus oubliés:

Je vous vois.

Je vous entends.

Je vous aime.
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