Je m'appelle Tomás, j'ai douze ans et je ne sais pas qui est mon père. Mais après tout, c'est banal dans la vie d'un gamin, et d'ailleurs je crois que ça n'intéresse personne, même pas moi, et puis j'en ai vraiment marre de toujours entendre la même histoire.
Ce qui est vrai c'est que jusqu'à cette nuit-là, la nuit où le Zurdo s'est fait coffrer, moi je croyais que les larmes c'était uniquement un truc de gonzesse. J'avais jamais vu pleurer German ni un autre homme dans le quartier, même pas Martin, alors que c'est encore un gamin, comme moi, et quand un pote se mettait à pleurer à l'école, on se moquait tout le temps de lui.
Et donc, quand on passe près du chantier et que Martín donne des coups de pied dans les canettes ou qu’il se met à parler sans pouvoir s’arrêter, moi, je ressens une angoisse terrible et les images me reviennent en tête – et je n’aime pas du tout qu’elles reviennent, parce qu’elles restent là-dedans, dans mon crâne, même si j’ouvre de grands yeux et que j’essaie de penser à autre chose – ; c’est que, sans le vouloir, je vois Lucas dans sa caisse, et je pense qu’il doit se sentir bien seul là, tout en bas, surtout qu’il y fait noir, et lui c’était un sacré trouillard. Alors j’ai un nœud dans la gorge, et on dirait que je m’étouffe, et je sens que je vais claquer moi aussi, comme Lucas.
Avec les films c’est plus facile, parce que quand les images t’envahissent et que t’arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n’est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C’est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier.