Les mots que le capitaine Bligh écrivit ce soi-là auraient pu lui servir de nouveau les jours suivants. Les hommes s'affaiblissaient; la mort se lisait dans leurs yeux. Ils étaient devenus raides au point de ne presque plus pouvoir bouger. Ils se plaignaient de douleurs aiguës et de plaies douloureuses. Leurs mains et leurs lèvres étaient coupées de gerçures si profondes qu'elles saignaient. Enfin, en lavant continuellement leurs blessures à l'eau de mer, ils ajoutaient à leurs souffrances. Cependant, ils vivaient.
Compare Bligh et Fletcher Christian. Christian est un chef parfait lorsque la mer est belle et le vent régulier. Tout le monde l'aime. mais quand la tempête rage et que les récifs menacent le bateau, quand la vie de chaque homme repose sur la force d'âme, l'adresse et le sens marin du capitaine, tout le monde se retourne vers un officier comme Bligh.
Dans cet univers en folie, gabiers et matelots légers perchés dans les enfléchures fourrées de glace luttaient interminablement contre les voiles gelées pour arracher le bateau aux écueils qui dressaient leurs pointes autour de lui comme des dents de requin.
Les experts s'accordent uniquement sur un point : le capitaine Bligh était un être exceptionnel, que l'on voie en lui la plus ignoble des brutes ayant jamais arpenté les planches d'une dunette ou l'un des plus grands héros de l'histoire maritime.
-- C'est le devoir d'un ami de soutenir l'autre ami. Vous me l'avez dit vous-même. Et vous avez dit aussi, il n' y a pas seulement une demi-heure, que le devoir était la chose la plus importante du monde.
Nuit et jour, pendant des semaines, la pluie, la grêle, la neige, transportées par des vents furieux, attaquèrent, pilonnèrent, meurtrirent le navire et son équipage soumis à une torture constante.
Bligh les voyait mourir lentement, mais ne les laissait pas en paix; chaque matin il les obligeait à se dévêtir et à laver leurs haillons dans la mer. "Propreté vient juste après piété."
Les journées interminables et cruelles n'étaient qu'une terne répétition les unes des autres. La chair fondait sur les os, et les hommes peu à peu se muaient en squelettes.