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Critiques de Herman Melville (525)
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Bartleby

J'avais, lancinant, le souvenir de Bartleby et son « I would prefer not to » lorsque je conseillais il y a quelques mois à un ami la lecture de Thoreau. Je me disais que cette réponse, « I would prefer not to », aurait pu être prononcée par Thoreau, vivant dans les bois de Walden. A l'époque, j'ai honte, mais seule la phrase, lancinante me revenait sans réellement penser au bouquin de Melville

Je viens de relire cette très courte nouvelle…

Et me voilà, comme Bartleby plongé dans des abîmes d'abandon, de lassitude face, non pas à mon mur gris, mais face à l'immensité et au calme de la nature devant moi…Ou plutôt face au monde d'avant qui revient à grands pas !

J'ai lu une réflexion de Daniel Pennac à ce sujet….

Je viens de la rechercher et de la trouver :

« Je ne sais plus quand j’ai lu le Bartleby de Melville pour la première fois. Mes plus vieux amis affirment que je leur en parle depuis toujours. Bartleby et son notaire me hantent. Le premier par son refus de jouer le jeu des hommes, le second par son vain acharnement à comprendre ce refus, l’un et l’autre par la bouleversante et drolatique confrontation de leurs solitudes.

Si on demandait à Bartleby le pourquoi de cette lecture publique (Pennac en avait fait une lecture publique dans je ne sais quel théâtre) il répondrait, impavide : « Ne voyez-vous pas la raison de vous-même ? » C’est tout ce que se proposait Melville : voir par soi-même, c’est à dire au plus profond de nous, où gît ce rire qui accompagne, quoi que nous fassions, nos efforts les plus méritoires.

Et puis, toute ma vie, j’ai lu à voix haute. (A voix autre.) Il fallait bien que ça finisse sur la scène d’un théâtre. D’autant plus qu’aujourd’hui j’ai l’âge du narrateur de cette histoire. C’est idiot, mais ça crée des liens. »

Je dois avoir, moi aussi l'âge du narrateur (bon OK un peu plus, mais je suis lent) et je me retrouve au soir, à prétendre, moi-aussi au calme, à la lassitude et moi aussi, face à notre monde... I would prefer not to.
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Bartleby

Simple et déconcertant
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Bartleby

Bartleby a été une rencontre totalement improbable. Melville nous dépeind ici un être extrêmement mystérieux, à la fois incompris, rejeté, solitaire, préférant ne pas faire les choses, luttant en réalité contre un monde qui commence son expansion capitaliste, obligé de travailler entre 4 murs, voyant un autre mur à la fenêtre, l'enfermement total ...

Le narrateur ajoute à cela une pointe de sadisme, et en condamnant volontairement Bartleby, il se condamne lui-même à cette inhumanité naissante qui règne probablement dans Wall Street de nos jours. Et il le dit : "Ah ! Bartleby ! Ah ! l'humanité !"
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Bartleby

Homme étrange et texte troublant que ce "Bartleby, le scribe" : un texte court, et qui pourtant emmène le lecteur dans une lecture riche de contrastes et génératrice d'une troublante tessiture de sensations.

De l'humour jouissif des premières pages où sont introduits les personnages jusqu'à la plainte déchirante des dernières relatant la triste fin de Bartleby.

De la première impression de liberté de Bartleby, l'homme qui dit non, opposée à la prison où l'on finit par l'enfermer dans sa solitude.

De l'univers étroit de l'étude notariale sur lequel Melville ouvre le récit à l'évocation d'une désespérante condition humaine sur laquelle il le referme.



Qu'est-ce donc alors que ce "je ne préférerai pas" que Bartleby oppose sobrement à toute demande?

Je rejoins Daniel Pennac qui affirme en quatrième de couverture de l'édition Folio : "Qui a lu cette longue nouvelle sait de quelle terreur peut se charger le mode conditionnel. Qui la lira le saura."
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Bartleby

En 1853, après l'accueil mitigé réservé à Moby Dick, Melville se met à écrire des nouvelles, dont la première d'entre elles est « Bartleby, the Scrivener : A Story of Wall-Street ». le texte, délaissé pendant un siècle par la critique américaine, a connu ensuite un grand succès, particulièrement auprès des philosophes et écrivains pour lesquels la nouvelle a longtemps constitué un objet de fascination et a suscité de multiples interprétations. Les traductions et les commentaires se sont ainsi succédé sous de nombreux titres différents : Bartleby l'écrivain, Bartleby le scribe, Bartleby : une histoire de Wall Street, et plus simplement Bartleby. Toutefois, presque toutes ces lectures évitent le texte pour se focaliser essentiellement sur la formule « I would prefer not to » ou le personnage qui l'incarne, négligeant ainsi l'intrigue.



Ainsi que le rappelle le sous titre, le récit se déroule à Wall Street, au milieu du XIXe siècle à l'époque où New York, la ville natale de Melville, va devenir la place financière majeure du monde occidental. Dans une petite étude, un avocat a déjà trois collaborateurs originaux qui correspondent guère au personnel attendu chez un avocat d'affaires de Wall Street, lorsqu'un personnage mystérieux apparaît ; il s'agit de Bartleby, un copiste consciencieux et silencieux. le narrateur est l'avocat qui entreprend de raconter, des années après, un épisode de sa vie, son quotidien dans son étude, et tout particulièrement ses mésaventures dans le recrutement de ses employés qui lui compliquent l'existence. Bartleby se révèle être un employé modèle qui respecte toutes les formes à la lettre, mais qui ne laisse jamais transparaître de signe d'émotion, ou de trace d'« humanité ordinaire », comme le relève le narrateur. On ne sait rien de Bartleby et son attitude interpelle, ce qui installe progressivement un suspense teinté d'une certaine tension. Le premier incident se produit rapidement, lorsque l'avocat demande à Bartleby de recopier un document. Il réitère trois fois sa demande et, à la surprise générale, Bartleby répond systématiquement, d'un ton parfaitement calme, « je préfèrerais ne pas (le faire) » : « I would prefer not to ». Au fil des pages, Bartleby abandonne inexorablement toute activité, ses comportements extravagants se multiplient et s'enchaînent, au point où celui-ci devient une véritable épreuve pour son entourage. Alors qu'on s'attend à ce que Bartleby obéisse normalement aux demandes de son patron, il refuse obstinément de faire ce pour quoi il est payé, comme si cela était normal, puis refuse même de sortir de l'étude où il s'est installé pour dormir.



L'originalité de Bartleby tient du fait qu'il ne refuse jamais directement mais use d'une expression qu'il oppose à toute sollicitation et qu'il utilise tout au long du récit « J'aimerais mieux pas » ou « Je (ne) préférerais pas », variant selon les traductions. Cette formule ambigüe « I would prefer not to » n'est pas vraiment correcte en anglais, contrairement à « I‘d rather not », incarnant la résistance passive du personnage, mais participe toutefois d'un registre soutenu, presque précieux, et d'une politesse extrême. Comme l'a écrit Deleuze « elle résonne comme une anomalie ». Elle n'oppose pas un refus strict, mais laisse une possibilité avec l'ouverture du « I would prefer » et la fermeture du « not to ».

En dépit de nombreuses interprétations, l'énigme de Bartleby reste entière mais la plupart des commentateurs ont relevé une certaine culpabilité qui marque le récit du notaire, en effet, son manque de réaction et son extrême tolérance paraissent invraisemblables. Melville a réussi à transformer une petite histoire d'apparence anecdotique en ce qui est aujourd'hui considéré comme un des sommets de la littérature américaine.

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Bartleby

Cette courte nouvelle aux échos énigmatiques et insondables met en scène, dans le New York du XIXe siècle, un cabinet dont l'avoué, qui est aussi le narrateur, engage Bartleby en tant que commis aux écritures, pour seconder ses deux employés bons vivants désignés par des sobriquets. Dans l'ambiance modérément studieuse du cabinet, le nouveau copiste se plie d'abord aux tâches imposées avec discrétion et semble-t-il résignation... Puis peu à peu, une sorte de refus permanent d'accomplir les travaux qui lui sont demandés s'exprime dans sa bouche par une formule étrange "I would prefer not to", "je préfèrerais ne pas". Cette échappatoire devient systématique et son refus de participer général et obstiné, au grand étonnement puis désespoir de son employeur. Le leit motiv produit d'abord un effet comique irrésistible, d'autant plus que l'avoué ne parvient pas à licencier Bartleby qui s'incruste au bureau, à l'abri de sa célèbre formule. Incapable de se débarrasser de cet employé ingérable qui dort désormais sur place, l'avoué en est réduit à déménager son cabinet et à en rendre les clefs. Peine perdue, Bartleby, avec son obstination rêveuse, dort sur le paillasson ! Sa seule réplique est touours la même. On ne cesse de rire que lorsque l'employé en grève absolue et quasi métaphysique, se retrouve en prison, et se laisse mourir car il oppose la même phrase de refus aux repas qui lui sont fournis.

Insondable mystère, le comportement de Bartleby est-il dépressif, philosophique, métaphysique ? Doit-on en rire ? En pleurer ? Quelle dimension tragique de l'existence se cache-t-elle dans ce refus de participer, cette douce obstination à s'abstenir ? Le retournement de ton, du comique au tragique, laisse le lecteur désemparé, n'entrevoyant qu'avec peine les perspectives mystérieuses qu'ouvre la complexité de l'âme et du destin humain.

Un chef d'œuvre aux multiples implications, qu'une exégèse même détaillée serait loin d'épuiser.

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Bartleby

Une énigme de Melville que ce Bartleby, autre que Moby Dick.

Nous sommes à New York, à Wall Street, dans un bureau, pour une étude de caractères. Le narrateur, l'employeur, cet être sans nom, innommable, aime bien coller des étiquettes sur ses employés de bureaux, qui se retrouvent sans nom, affublés de surnoms qu'ils sont : Turkey (Dindon), Nippers ( Lagrinche), Ginger Nuts (Gimgembre). Melville, il a beaucoup d'humour, oui, et j'ai bien ri de ces caricatures d'employés, hautement ridicules, qui ne travaillent correctement qu'à mi-temps, étant selon le moment de la journée, si c'est le matin ou l'après-midi, agressifs, irrespectueux du matériel, à foutre des taches sur les documents, irrespectueux de leurs tâches, et du patron mais le patron les garde parce qu'ils sont, comme je le disais – tour à tour, selon le moment de la journée, si c'est le matin ou l'après-midi, employés modèles, en alternance.

Et puis, Bartleby apparaît : c'est le moment de l'apparition d'un homme, si c'est un homme, qui passe tout son temps au bureau, et il copie, il copie, mécaniquement, et il s'efface. Bartleby, on l'installe derrière un paravent, mais il a une fenêtre – qui donne sur un de ces murs de Wall Street ( qu'on imagine sans mal d'un gigantisme incroyable, démesuré). Bartleby, il le regardera ce mur, face à face – étant face au mur -

Et puis, c'est le drame, Bartleby fait de la résistance passive.

Si on se met dans la peau du narrateur de cette nouvelle, je crois qu'on dirait au jour d'aujourd'hui que Bartleby est le type même du passif-agressif, parce que ce personnage agresse, surtout son employeur, par sa passivité même. Il le dit "inoffensif" et pourtant, même si Bartleby est doux comme un agneau, il résiste. Ce personnage de Melville, Bartleby, a vivement intéressé les philosophes du XXème siècle, qui voient dans cette résistance passive une stratégie de pouvoir, qui se dresse face au système. La stratégie de Bartleby c'est son absence (le narrateur le voit comme un cadavre ambulant) mais il se rend omniprésent, dès lors qu'il décide (s'il décide) d'occuper les lieux. Il s'enferme dans les bureaux, il y dort. Une absence et une présence : tout un paradoxe, parce qu'il se dresse contre l'opinion, contre le sens commun qui veut que l'employé accomplisse ses tâches, et qu'il rentre chez lui, et qu'il revienne le lendemain, selon une mécanique bien huilée, une routine, mais il se dresse aussi contre les opinions toutes faites du narrateur qui a la passion de brosser les caractères mais Bartleby, il n'arrive pas à le comprendre, lui. Il voit Bartleby comme un être anormal et même, paranormal. Tout ça parce que Bartleby, du jour au lendemain, sort sa formule, imparable : "I would prefer not to" – Je (ne) préfèrerais pas [faire-être]. Son non-consentement aux normes, aux ordres de son employeur qui lui demande de bien vouloir vérifier l'exactitude de ses copies (ce qui impliquerait, s'il y a une erreur, de détruire la copie) fait qu'il résiste, par son inertie parce qu'il dit non sans dire non, par une formule de politesse que la norme exige (avec un conditionnel poli, qui présuppose qu'il n'approuve pas ce qu'on attend de lui, qui pose son choix sans choisir, parce qu'il s'abstient. Quand il insiste, exit le conditionnel). Bartleby, je ne sais pas si c'est l'expression du libre-arbitre, parce qu'il ne dit rien ou pas grand chose, il ne fait rien, il refuse même le libre-arbitre par son expression même alors oui, c'est paradoxal.

Bartleby ne demande rien. Ce n'est pas lui qui pose les questions dans l'histoire (alors même qu'il est au centre de la grande question). C'est l'employeur, qui demande à Bartleby de bien vouloir lui répondre. L'employeur, il s'approprie la forme interrogative. Bartleby, c'est l'incarnation d'une affirmation ( ne serait-ce que par la ponctuation), parce qu'il répond quand même de manière catégorique, "point-blank".



"At present I prefer to give no answer."

"At present I would prefer not to be a little reasonnable."
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Bartleby

Courte critique pour cette nouvelle très rapide à lire. On y découvre la curieuse aventure d'un homme qui, ayant engagé un nouveau scribe dans son office, doit faire face à un homme mystérieux qui lui répond systématiquement "Je préférerais pas" lorsque qu'il lui demande d'effectuer une quelconque tâche.

J'avoue avoir été un peu déçue de la fin, de la chute. Le personnage du patron est pourtant intéressant à suivre, il ne cesse d'osciller entre plusieurs attitudes à l'égard de son employé mais ne se résout jamais à le brutaliser ou à le jeter dehors. Le style est également agréable. Mais, je le répète, la fin n'a pas été à la hauteur de mes espérances, car je m'attendais à une révélation énorme - peut être en est-ce une pour certains, mais je m'attendais à autre chose. Je ne suis peut être pas la bonne cible pour cette nouvelle : je n'aime pas en lire et il est fort rare qu'elles me touchent.
Lien : http://lantredemesreves.blog..
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Bartleby

Longue nouvelle de Melville est est au fil des décennies devenue un "classique", car anticipant les thématiques absurdes développées après guerre.

L'intriguant personnage de ce récit, un scribe nommé Bartleby (sorte d'allégorie de la passivité, du désespoir et/ou de la dépression), se recroqueville petit à petit sur son être, réduisant ses interactions et ses mouvements au minimum en refusant tout changement par la désarçonnante formule "I would prefer not to". Jusqu'à son refus de s'alimenter.

Un bon film français assez fidèle bien que se déroulant à Paris dans les années 1970 était disponible sur Youtube vers début 2017, mais j'arrive hélas pas à en retrouver la trace...
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Bartleby

Attention ! Avis à la population !

Chef d'oeuvre !!!

Voilà une petite pépite qui vaut son pesant d'or.....4€ TTC.



Herman Melville... ça vous parle ?

C'est ça ! le gros cachalot blanc...Moby Dick...."bêêêhhh!!!".



Dans Bartleby, c'est d'un autre animal qu'il s'agit.

Un scribe ! (non, rien à voir avec un quelconque scarabée ou crabe nord-américain), non, un scribe ; un scribouillard ; un copiste ; un gratte-papier quoi !



Nous voici donc arrivé dans l'univers des bureaux. New-York. (pas de cachalot en vu dans l'Hudson, bon, on y a bien vu il y a quelques années, un A320 qui y flottait, mais ça, c'est une autre histoire).



Dans l'étude d'un notaire (notre narrateur) sont employés deux copistes, les bien nommé : Dindon et Pincette.

Dindon, Anglais au caractère plutôt du matin et Pincette, jeune homme blême, qui au contraire est d'un tempérament plutôt tranquille l'après-midi.

Un petit troisième est également de la partie : Gingembre, un gamin de douze ans, grand amateur de noix et garçon de course pour 1$ la semaine.

Fournir les deux copistes en gâteaux et en pommes, sera sa mission principale.

Suite à une promotion qui lui ramène par la même occasion des dossiers supplémentaires à traiter, notre notaire se met à la recherche d'un troisième copiste pour soulager d'une charge de travail, le duo déjà en place.

C'est à ce moment qu'entre en scène le fameux "Bartleby".

Un scribe, lividement propre, pitoyablement respectable, incurablement désolé et solitaire, mais qui abbat le travail comme pas deux, sans pause repas, qui ne grignote que quelques biscuits au gingembre.

Bartleby, c'est le copiste aussi assidu et acharné que silencieux et mécanique.



Puis un jour.....

" J'étais assis très exactement dans cette position lorsque je l'appellai, lui expliquant brièvement ce que j'attendais de lui, à savoir qu'il collationnât avec moi un court document.

Imaginez ma surprise, non, ma consternation, quand, sans abandonner sa solitude, Bartleby, d'une voix singulièrement douce et ferme, me répondit : "j'aimerais mieux pas".

Je restai un instant immobile dans le plus profond silence, tentant de reprendre mes esprits stupéfiés.

Je pensai aussitôt que mes oreilles m'avaient abusé, ou que Bartleby s'était totalement mépris sur le sens de mes mots. Je réitérai ma demande de la voix la plus claire possible ; mais tout aussi clairement me parvint la réponse précédente, " j'aimerais mieux pas ".



À partir de ce moment, ce sera le mot d'ordre de notre ami Bartleby.



Une petite nouvelle philosophicomique sur la désobéissance en douceur, sur l'esprit de liberté tendrement rêvé, puis finalement, sur le refus total, absolu et radical.

Bartleby est un jusqu'au boutiste attachant qui nous embarque dans sa révolte cotonneuse mais intransigeante.

Voilà un petit livre costaud, rebel et apaisant, qui ne nous livre pas tous ses secrets.

Le rire se partage avec le désir de tout envoyer paître, en disant simplement et avec un large sourire : " I WOULD PREFER NOT TO...". ﺕ



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Bartleby

Cette longue nouvelle du grand Herman Melville est une perle littéraire. Non seulement parce qu’elle traite de l’écriture, puisqu’il s’agit d’un scribe, d’un copiste, le fameux Bartleby, déréglant la vie d’une étude, puis de tout le quartier de Wall Street dans laquelle elle se situait, mais aussi parce qu’elle traite indirectement de l’illusion de la fiction.

Soyons plus précis : Elle traite de l’écriture. L’obsession de l’écrivain est ainsi mise en scène à travers l’activité principale de l’étude qui est la copie. Comme dans la nouvelle de Nicolas Gogol, "Le Manteau", le personnage occupe ses journées à copier interminablement des documents administratifs et juridiques, telle une mécanique bien huilée (il serait d’ailleurs intéressant de savoir si Melville a eu connaissance de la nouvelle de l’auteur ukrainien au préalable, les similitudes thématiques entre les deux œuvres étant très fortes.)

Elle traite ensuite de l’illusion de la fiction à plusieurs niveaux. Premièrement, le narrateur, protagoniste de l’histoire en tant que directeur de l’étude, donne l’illusion de vérité propre au témoignage. Un témoignage forcément incomplet et partiel car subjectif (ce procédé narratif étant, encore une fois, l’une des grandes richesses de l’art littéraire de Nicolas Gogol.) Deuxièmement, le mystère qui entoure Bartleby imprime le doute chez le lecteur, à tel point qu’il ne sait plus ce qui relève du réel et ce qui relève de l’illusion.

Enfin, cette virtuosité narrative se termine en apothéose dans un étonnant épilogue.

Inoubliable !

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Bartleby

Bartleby est un homme d'un certain âge, sur son quant à soi. C'est un scribe discret, falot, presque invisible derrière son paravent.

Premier arrivé, il est le dernier à partir, en somme c'est un être consciencieux. Problème, il n'est pas disposé à exécuter les ordre de son patron et les demandes de ses collègues. À chaque fois il oppose un dilatoire et imparable " j'aimerais mieux pas". Son patron reste interloqué, dubitatif devant ce phénomène d'inertie particulière, de résistance passive, il aimerais bien comprendre, l'homme lui est sympathique, mais voilà c'est à n'y rien comprendre, toute demande s'écrase devant la sempitelle et irritante réponse de l'étrange personnage. La nouvelle est suivie de deux autres nouvelles moins connues et c'est bien le Bartleby kafkaïen qui retient l'attention.

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Bartleby

Étrange formule que ce « I would prefer not to », tout à fait correcte grammaticalement mais très formelle, voire hiératique. Il n'y a pas d'équivalent en français. La traduction littérale (et donc syntaxiquement fautive) « je préférerais ne pas » me semble être la pire solution… à l'exception de toutes les autres, car elle a au moins le mérite de faire ressortir chez le personnage un côté guindé, socialement dysfonctionnel, et pour tout dire robotique. D'ailleurs, même si je n'ai jamais été convaincu par la définition qu'Henri Bergson donne du rire*, je trouve qu'elle peut difficilement mieux s'appliquer qu'au début de ce texte, où les caractères sont littéralement réglés comme des horloges. Les copistes au service du narrateur ressemblent à des robots grotesques. Et pourtant, ils font pâle figure en comparaison de ce scribe si pâle qui apparaît dans leur sillage, comme un point d'orgue paradoxal à cette galerie de portraits initiale. Car le grotesque de Bartleby s'exprime par ce qui, au sens architectural, en est l'opposé : la simplicité et le dénuement. Et pourtant, poussés à bout, ceux-ci s'avèrent encore plus extravagants que les traits caricaturaux des autres scribes. A travers Bartleby, n'est-ce pas le grotesque du décor déshumanisé de Wall Street qui ressort ?



En effet, la forme de Bartleby se replie sur son humanité, mimant la façon dont les immeubles de Wall Street engloutissent leurs salariés, en masquant jusqu'au ciel.



Bartleby, c'est le fantôme dans la machine. Si bien que l'on pourrait dire qu'un spectre hante Wall Street : le spectre de Bartleby. Et ce fantôme (le mot est utilisé à plusieurs reprises dans le texte, j'y reviendrai…) ne semble finalement plus pouvoir dialoguer qu'avec Hamlet, pour donner sa réponse à la question « to be or not to be ». le lecteur peut être tenté d'imiter Hamlet et d'écouter ce spectre, de chercher à le comprendre, à lui rendre justice. le représenter, voire le représenter. Quitte à occuper Wall Street, ne serait-ce qu'en pensée.



Mais Bartleby a-t-il vraiment quelque chose à nous dire de plus que « I would prefer not to » ? Avec lui, toute parole devient lettre morte. La parole adressée et la parole reçue. de même qu'une lettre au rebut, la compassion du narrateur et du lecteur semblent arriver en vain, ou trop tard. Et même au fond du fond, là où sa pensée se terre (se taire ?), peut-être que Bartleby préférerait ne pas dire ou représenter quoi que ce soit. Deleuze affirme d'ailleurs que Bartleby ne représente rien. Et pourtant, pourtant, le narrateur ne cesse de nous inciter à interpréter Bartleby. Outre « fantôme », il utilise énormément la notion d'émerveillement (« wonder » et toutes ses déclinaisons grammaticales, c'est un vrai festival !) quand il évoque Bartleby. Il lance les jalons d'une lecture surnaturelle, voire mythologique.



Tel Saturne se retournant contre la figure paternelle, on nous décrit ainsi Bartleby désarmant le narrateur et lui ôtant son pouvoir jusqu'à l'exproprier, à l'émasculer (le mot est prononcé) symboliquement. Là, c'est le narrateur qui devient grotesque, outrancier dans ses insistances sur l'effet produit par la formule de Bartleby. On croirait que ce dernier lui jette un sort, comme si sa formule était magique. Rappelons que la fin du texte va jusqu'à introduire l'image insolite du coeur d'une pyramide égyptienne. Justement, en ancienne Égypte, il n'y a pas de magie plus puissante que celle qui s'exprime par les mots. Les lecteurs de Blake et Mortimer sauront de quoi je parle si je leur dis « Par Horus demeure ! ». Bartleby évoque donc le pouvoir que les mots peuvent avoir sur autrui. Mais ce pouvoir réside-t-il vraiment dans la formule de Bartleby… ou dans l'art du narrateur, qui, en plaçant ces mots dans la bouche de Bartleby, réussit remarquablement à détourner l'attention du lecteur, au point qu'il n'a même pas besoin de lui dire comment il s'appelle (le narrateur restera en effet sans nom jusqu'au bout) ? Or toujours dans l'ancienne Égypte, il est très important de connaître le vrai nom de sa victime pour lui jeter un sort : le mot incarne la chose. de ce point de vue, comment Bartleby pourrait-il affecter le narrateur, puisqu'il n'utilise jamais son nom ? Alors qu'à l'inverse, le narrateur peut tout à fait « faire un sort » à Bartleby en recréant à partir de ce nom une image illusoire, un hiéroglyphe indéchiffrable, un signe qui ne renvoie à rien. Et là on rejoint Deleuze. Ce ne serait pas Bartleby tel que le narrateur nous le décrit qui aurait du sens : le sens proviendrait uniquement de cette description manquant de sens.



Je me suis en effet demandé si quelque chose ne clochait pas avec ce narrateur. La prose ample et chaleureuse de Melville nous fait aisément éprouver son caractère sensible et empathique… qui rentre étonnamment en contradiction avec le contexte de Wall Street, archétype du lieu où le lucre et la rentabilité passent avant les sentiments. Ce décalage me paraît trop grotesque (encore) pour que l'on puisse se fier à ce qui nous est dit. Et si Bartleby était déjà mort dès le début, non pas au sens métaphorique qui nous est suggéré à la fin, mais littéralement, hors champ, hors des propos du narrateur, qui chercherait en fait à se dédouaner de cette disparition ? N'oublions pas que le narrateur ne peut se retenir de comparer Bartleby à un fantôme. Quitte à ce que Bartleby représente quelque chose, n'est-il donc pas le spectre du remord, perché jusque dans les rampes d'escalier à répéter ses paroles lancinantes aux allures de « nevermore » ? Je m'appuie ici sur l'analyse en lien ci-dessous, qui relève d'autres passages lourds de sens dans le récit (notamment celui où le narrateur évoque l'affaire Colt-Adams, un meurtre bien réel ayant eu lieu à Wall Street à l'époque de Meville). Les allusions et contradictions du narrateur tendraient à démontrer que celui-ci falsifie la réalité. N'est-ce pas là un travers dans lequel peut tomber tout copiste... ou tout écrivain, sourirait Melville ? Ces possibles implications/imbrications ont de quoi donner le vertige, entre gratte-papiers et gratte-ciels.



https://www.fabula.org/colloques/document4841.php



*sa formule « de la mécanique plaquée sur du vivant » est bien trop limitée, comme l'ont démontré depuis longtemps des spécialistes tel qu'Alain Vaillant en citant par exemple les temps modernes de Chaplin où le rire inverse la définition de Bergson, puisqu'on a là du vivant qui dérègle la mécanique.
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Bartleby

Je regrette d'avoir découvert si tardivement ce petit chef d'oeuvre de Melville. Voici qui est rattrapé, le temps d'une attente en gare de Bercy. A lire !
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Bartleby

Moments déconcertants en Absurdie.



Obsédant Bartleby.

Un être en départ de lui-même.

Détachement du travail, des autres, du monde qui l’entoure.



Agaçant? Peut-être…

Pitoyable? Certainement pas…



Représentatif de l’étouffement d’un homme meurtri par sa non-existence dans un monde sans pitié (une tentative d’explication sera avancée en fin de livre).



Celui qui raconte l’observe, le plaint, s’y attache presque mais se débat lui-même entre comprendre ou pas, agir ou non, préserver sa bonne conscience ou non, aider maladroitement.



L’autre s’éteint peu à peu en s’abstenant du tout qui constitue un être.

Foin de ce XIXème et de l’arrivée de la mécanisation, de la production qui engloutit l’homme.



« Je préfère ne pas… » et le verbe se décline et frappe l’esprit : qu’est-ce que je préfèrerais ou pas si moi aussi…?

Le silence jusqu’à l’anéantissement? La servitude? La révolte?



Longue nouvelle déstabilisante.
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Bartleby

Premier texte d''Hermann Melville que je lis. Superbe écriture. texte drôle parfois, inquiétant et envoûtant. tout comme le narrateur j'ai été fasciné par Bartleby qui pourrait être une petite part cachée de nous même : sortir du temps, du monde. On éprouve la même sollicitude pour Bartleby que celle ressentie par le narrateur, mais quelle solitude, quelle désespérance. Un pur bloc de mystère.
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Bartleby

Court, mais si dérangeant. Comment être différent dans une société uniforme

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Bartleby

Lu sur conseil de ma libraire - je cherchais un petit livre entre deux gros - cette courte mais intense lecture fut une magnifique découverte.

Le mystère de Bartleby recèle toute une réflexion morale et chrétienne intéressante, où l'on voit le narrateur examiner sa conscience. La conclusion de l'histoire par une réflexion sur (à mon sens) le destin de chaque homme m'a donné des frissons. Je n'ai pu m'empêcher d'y voir à bien des égards une méditation en écho à celle du "Vanitas vanitatum".
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Bartleby

Bartleby a été embauché par le narrateur, patron d’un bureau de copistes déjà au nombre de trois employés : Dindon, Lagrinche et Gingembre. Il a l’ait de quelqu’un de très compétent mais le narrateur se rend compte qu’il refuse de collationner. C’est très embêtant pour le narrateur mais il essaye d’être tour à tour compatissant, ferme ou compréhensif. Mais rien ne fait, Bartleby ne cesse de répondre : « Je ne préfère pas. » Tous les moyens employés échouent.

J’ai aimé cette courte histoire d’Herman Melville, les personnages sont magnifiquement brossés et bien campés dans leur rôle. Mais j’en ai voulu au narrateur ne pas plus essayer de connaitre les raisons de son mutisme et de son entêtement. Je découvre Herman Melville avec cette nouvelle, j’apprécie son style même si je suis un peu frustrée par cette fin…

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Bartleby

Après l’échec de Moby Dick paru en 1851 , puis de l’éreintement de Pierre ou Les ambiguïtés (1852) Melville se tourne vers les périodiques pour s’assurer un revenu minimum lui permettant de vivre. Ce type de publications a ses contraintes : il faut écrire des textes relativement courts, et le soucis de plaire au lectorat est toujours présent. Certains sujets ou audaces ne sont pas permis. Bartleby le scribe, écrit pendant l’été 1853 sera publié en novembre et décembre de la même année dans le Putnam’s Monthly Magazine ; la publication en volume aura lieu en 1856, dans un livre regroupant d’autres textes parus d’abord dans des périodiques.



Nous sommes à Wall Street, comme le précise le sous titre (Une histoire de Wall Street). Un juriste nous décrit les employés de son cabinet, de façon caustique, même s’il exprime une certaine sympathie pour les personnes qu’il croque. Un surcroît d’activité l’oblige à prendre un nouveau scribe, son choix se porte sur Bartleby, qui paraît fiable et calme. Mais très vite le nouvel employé résiste à son employeur, et se refuse à de plus en plus de tâches, avec toujours la même formule : « Je préférerais ne pas ». Il semble ne jamais quitter le bureau, y vivre même. Finalement il se refuse à tout travail, quel qu’il soit, et se contente de regarder par la fenêtre. Le juriste n’arrive pas à le faire changer d’attitude, les menaces n’y font rien, et Bartleby se refuse à quitter l'endroit, introduisant une perturbation de plus en plus sensible du fonctionnement normal. Le patron en arrive à fuir les lieux, à déménager ses bureaux pour ne plus avoir à subir sa présence silencieuse. Les nouveaux locataires font appel à lui pour essayer de s'en débarrasser, la seule façon d’y arriver sera de le faire enfermer en prison, où il va se laisser dépérir.



Le début du texte donne la sensation du réalisme : nous sommes à Wall Street, dans un endroit reconnaissable, des allusions à des faits d’actualité ancrent le récit dans l’ici et maintenant. La description minutieuse des employés et de leurs habitudes, qui fait un peu penser à première vue aux descriptions balzaciennes, semble renforcer l’aspect concret. Mais l’arrivée de Bartleby semble dérégler le mécanisme, son comportement en contradiction avec les règles de l’endroit où il se trouve semble faire pénétrer une inquiétante étrangeté dans le quotidien le plus banal en apparence. Peut-être même que le changement de perspective qu’il provoque, interroge sur ce quotidien : va-t-il vraiment de soi, comme semblait le penser au départ le narrateur ? On en vient à s’interroger sur le sens des activités habituelles du lieu, les employés si minutieusement racontés au départ se mettent à ressembler à des pantins qui s’agitent un peu sans raison. Au final, on ne sait rien d’eux, de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils vivent par ailleurs, on les voit juste agir, d’une façon particulière dans un contexte particulier, qui en vient, devant la distorsion introduite par Batleby, à apparaître vidé de sens. Le cabinet juridique, qui semble un cadre par définition sérieux et austère, devient un lieu absurde. L’aspect burlesque (et très drôle) des descriptions premières y participe : au final tout cela est-il vraiment nécessaire, et ne serait pas une sorte de farce grotesque que la société et les individus qui la composent jouent ? Est-ce Bartleby qui est fou ou plutôt la société et Wall Street en particulier ? Tant qu’un consensus existe, il est possible de considérer que l’étude juridique est un lieu solide et nécessaire, en passant sur les bizarreries des individus, mais une fois que le doute sur la légitimité de l’endroit et de son fonctionnement est introduit, la question du dérèglement qu’il produit sur les individus est posée. La seule solution que trouve le narrateur est la fuite, preuve que les questionnements posés sont fondamentaux et lancinants.



Texte à la fois très drôle et très riche, malgré sa relative brièveté, Bartleby le scribe est rentrée à juste titre parmi les classiques de la littérature américaine du XIXe siècle.
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