26 octobre 1940 (Journal)
… On me montre les derniers télégrammes. Ils vous glacent le sang. Un message de Sam Hoare au Premier Ministre. Il tient ses informations de source sûre, laquelle source, je le crois bien, est l’ambassadeur de France. Les Allemands ont offert la paix à Pétain aux conditions suivantes :
Il rend l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne;
Il cède à l’Italie le département des Alpes-Maritimes;
Il autorise l’Allemagne à conserver les ports de la Manche ainsi qu’un corridor jusqu’à l’Espagne, et ce pendant la période des hostilités;
La moitié de la Turquie et de l’Algérie est cédée à l’Italie;
Le Maroc est donné à l’Espagne;
Les colonies françaises d’Afrique seront gouvernées par une commission germano-italo-française;
Toutes les bases et aérodromes français en Afrique et sur la Méditerranée seront mis à la disposition de l’Allemagne et de l’Italie;
La France assurera la sauvegarde du flanc italien en Egypte, en Syrie et en Algérie
La flotte française en Méditerranée est mise à la disposition de nos ennemis.
Si la France n’accepte pas ces conditions, Hitler l’affamera. Si elle les accepte, ses prisonniers seront alors renvoyés dans leurs foyers et les Français recevront du ravitaillement.
20 janvier 1941 (Journal)
Je déjeune au Savoy avec le Général de Gaulle. Attlee et Dalton sont là. De Gaulle paraît moins rébarbatif sans chapeau, car on voit ses cheveux fraîchement coupés, son regard fatigué, pas toujours bienveillant. Son attitude tendue est celle d’un homme en train de s’alourdir, conscient du fait que seul un contrôle perpétuel de ses muscles lui permettra de garder sa prestance. Je ne l’aime pas. Il accuse mon ministère d’être « pétainiste ». Je lui réponds : « Mais non, monsieur le Général. — Enfin, pétainisant. — Nous travaillons, dis-je, pour la France entière. — La France entière, crie-t-il, c’est la France libre. C’est moi ! » Moi je veux bien. Je reconnais qu’il a à son actif un beau geste à la Boulanger. Aussi bien le fantôme du Général Boulanger ne c esse de me hanter. De Gaulle commence à couvrir Pétain d’opprobre, disant qu’une fois de plus il s’est vendu à Laval, disant que Weygand, le jour où il reçut une bombe, au front, se conduisit comme un pleutre. Osusky dit que l’opinion française s’imagine que, au fond de leur coeur, de Gaulle et Pétain ne font qu’un : « C’est une erreur », répond-il sèchement. Je ne me sens pas encouragé.
17 juin 1938 (Correspondance)
Hier, j’ai rencontré un Autrichien qui venait de s’échapper de Vienne, et ce qu’il m’a dit m’a rendu malade. Il y a dans leur cruauté une sorte d’humour diabolique. Par exemple, ils rassemblèrent dimanche dernier les gens qui se promenaient au Prater, et ils séparèrent les juifs des autres. Ils firent déshabiller les gentlemen juifs et les firent marcher à quatre pattes sur le gazon. Puis ils firent grimper les vieilles dames juives jusque dans les arbres par des échelles et les assirent sur des branches. Ensuite ils leur ordonnèrent de gazouiller comme des oiseaux. Les Russes n’ont jamais commis de telles horreurs. Vous pouvez prendre la vie à un homme; mais détruire sa dignité c’est de la bestialité.
20 mars 1939 (Journal)
J’ai l’impression que la guerre ne sera pas pour tout de suite (surtout à cause des semailles de printemps) mais est inévitable après la moisson.
15 juillet 1942 (Journal)
Notre Comité parlementaire franco-anglais reçoit le général de Gaulle. Il fait un discours incisif et n’esquive aucune difficulté. Il dit que si la « France combattante » doit être quelque chose de plus qu’un détachement de l’armée britannique, il faut et il suffit qu’elle exerce le pouvoir politique. A ma grande surprise, il est accueilli avec beaucoup de chaleur, plus que personne ne l’a jamais été. La salle est bondée et à la fin de forts applaudissements se font entendre tandis que l’on entonne la Marseillaise. Après quoi il y a une petite réception et un vin d’honneur. De Gaulle a l’air très content de lui et il y a de quoi.