L'impartialité, c'est, je crois, un travail permanent sur soi. Un travail pour que l'ensemble des "sensations" que l'on a, en tant que témoin, et que l'on va rapporter dans un récit, déploie tout son potentiel d' "universalisation", c'est-à-dire soit le moins possible rivé à la singularité d'un "moi" : d'un moi qui ressent les choses trop singulièrement, et aussi d'un moi qui tend à juger trop immédiatement les choses ressenties.
La conversation mange l’espace médiatique, y compris ses pans les plus traditionnels, comme si l’ambiance des réseaux sociaux donnait le la, malgré tout. Pour le dire autrement : nous apprendre comment juger, tout le monde s’y met toute la journée ; nous apprendre toujours plus de choses sur la réalité dont on parle, c’est plus rare.
Aussi "intelligente" que soit une IA, l'idée qu'elle puisse avoir une "volonté" propre n'a, pour l'instant, pas de sens, et selon certains chercheurs elle n'en aura jamais.
Si, dans telle ou telle situation, une IA était amenée à « prendre le pouvoir » sur les humains, scénario typique de science-fiction, ce serait en ayant été programmée à le faire par des …humains
La conversation, si elle veut exister puis se prolonger, a besoin d'exclure ce qui constitue, pour les interlocuteurs, des "faits inconfortables"...
Les faits, donc, se retrouvent pris dans un registre de parole qui est très majoritairement celui du « discours » : qu’il s’agisse d’un discours d’analyse, d’argumentation, de débat, de commentaire quelconque, de conversation de bon aloi ou un peu tendue. Cela peut être éclairant, certes. Mais c’est malgré tout autre chose que l’évolution d’un « récit », venant toujours préciser davantage les faits, jusque dans le détail, soucieux de restituer la complexité de la situation telle qu’elle apparaît à un reporter, à un enquêteur.
Il y a tant de faits. Et tant de manières de faire la lumière sur les uns, de laisser les autres dans l'ombre. De changer l'axe de la lumière. Nous ne pouvons pas tout savoir ni tout retenir. Ainsi, il arrive que certains faits aient "vécu", comme on dit joliment en français.
Ainsi, dès ses formes les plus ordinaires, et encore davantage dans ses formes aiguës et sensibles, la conversation, si elle veut exister puis se prolonger, a besoin d’exclure, ce qui constitue pour ses interlocuteurs, des faits inconfortables.
C'est même le propre des questions politiques les plus difficiles, les plus "tendues", que de produire cette situation où l'on n'arrive même plus à se mettre d'accord sur les faits.
p. 131 : Ce qui est fragilisé en ce moment, c’est la notion de « fait » en tant qu’elle dessine un « commun » sensible exigeant le travail sur soi d’« obser-vateurs impartiaux » et une place essentielle laissée, dans l’espace public, aux récits par rapport aux discours. »
Ce qui ressort si souvent, sur les réseaux sociaux ou dans certaines émissions dites de "talk", c'est une terrible envie de "simple". D'une grille d'analyse du monde offrant un repère stable.