N’ayant pas fermé l’œil de la nuit, j’étais dehors de bonne heure pour avoir le premier aperçu du pays de nos lointains ancêtres, les négociants en fourrure. La guerre apportait dans le même temps l’idée curieuse d’un retour magique et de la découverte. À vrai dire, l’idylle indigène avec le commerce de la fourrure et les souffrances de la guerre fut une révélation du cœur et non pas l’ironie de la découverte (p. 157).
Les Allemands attendaient de pied ferme les nouvelles manœuvres des recrues mal aguerries, la précipitation et la chute, et pourtant l’ennemi s’inquiétait de la présence de guerriers indigènes. Il était troublé par les histoires d’indiens furtifs, de captures, de soldats scalpés la nuit dans les tranchées (p. 163).
Aloysius hurla de sauvages imprécations et fonça. Frappés d’effroi par sa face peinte, les Boches sidérés se rendirent par crainte de finir scalpés par un féroce guerrier indien.
Ce matin-là, nous donnâmes l’assaut à trois emplacements de mitrailleuses et fîmes sept prisonniers, sept jeunes soldats reconnaissants de ne pas avoir été scalpés et impatients de voir enfin le bout du désespoir, de la peur de mourir, et de la guerre (p. 193).
La première guerre mondiale se poursuit éternellement dans la réserve de White Earth à travers les récits des anciens combattants et de ceux qui ont survécu au combat. Nous étions les descendants indigènes de commerce de la fourrure et nous rentrions de France avec de nouvelles histoires (p. 205).
Certes, nous avions survécu à la guerre en tant qu’éclaireurs, en frères, un peintre et un écrivain, mais nous étions troublés par les blessures et les douleurs de la paix. Mes scènes littéraires étaient plus violentes, plus poétiques ; les images que créait mon frère étaient plus intense, plus visionnaires. La sagesse voudrait que personne ne considère les expériences de guerre et de paix comme de justes sources d’inspiration artistique et pourtant, nous ne résisterons jamais à l’attrait du hasard, aux histoires facétieuses de l’illusionniste, à l’issue naturelle de l’ironie native (p. 209-210).
Certes, nous avions été soldats, mais pas comme patriotes d’une culture nostalgique de la paix. La plupart des soldats rentraient dans des villages et des villes. Nous regagnions une terre d’occupation fédérale. Notre retour dans la réserve ne marquait ni la paix ni la fin de la guerre. Le sens inné du hasard et de la présence dans la réserve a toujours été victime de la guerre civile contre la liberté indigène (p. 246).
[Honoré] exprima le sentiment indigène de la voie de l’ennemie et déclara que des guerriers ne devraient jamais avoir à occuper l’ennemi. Capturer, libérer ou occire, oui, occuper, non, sous aucun prétexte (p. 253).
Le livre [Le Dernier des Mohican de James Fennimore Cooper] attendait qu’un lecteur le récupère, mais ce ne serait ni moi ni mon frère. Ce roman était présenté par nos professeurs à l’école du gouvernement, de même que Le Chant de Hiawatha, cet affreux poème de Henry Wadsworth Longfellow, mais jamais ils ne nous obligèrent à mémoriser les folles fantaisies culturelles d’explorateurs littéraires. La Frontière alambiquée du Dernier des Mohican n’était qu’une vaste foutaise (p. 59-60).
Cet été-là dans la réserve, [Oscar] Wilde était l’ultime promesse de bizarrerie, d’ostentation, d’agaceries insaisissables, de moquerie et de décadence réunies en un simple patronyme, et son nom incarnait les récits naturels de libération dans une colonie fédérale et confite en religion (p. 105).
Guillaume Apollinaire était mon frère imaginaire bien sûr, un totem poétique, une présence constante dans mes récits. Plus que tous les empereurs, les présidents ou les papes, je voulais le rencontrer. Mon histoire ce soir-là marqua l’introduction ironique et publique de mon frère le poète des blessures de la guerre et de quatre jours en prison (p. 305).
À Paris, nous étions devenus des créateurs, des artistes, un écrivain et un peintre, et nous y avons conçu notre sens de la liberté. Le monde de l’art et de la littérature était notre révolution, notre sentiment de présence native et notre sanctuaire (p. 364).
Nous étions frères, inébranlables sur la voie des guerriers solitaires, un peintre et un écrivain indiens, prêts à transformer la désolation de la guerre avec des corbeaux bleus et des scènes poétiques nées d’une civilisation effrayante et de la liberté indigène (p. 19-20)
Mes mots semblaient contenir une vision innée du mouvement, mais le travail concret de l’écrivain n’a rien à voir avec celui du peintre (p.63).