Orwell était un homme grand, mince, anguleux, dont l’air sombre et éreinté était accentué par de profonds sillons verticaux qui creusaient ses joues et encadraient les commissures de sa bouche. Une moustache très fine et foncée soulignait la minceur de ses lèvres; sa bouche semblait sévère, presque cruelle, jusqu’à ce qu’il sourie et qu’une expression de bonté irradie tout son visage. Son apparence décharnée était renforcée par des orbites d’où ses yeux regardaient le monde plutôt tristement.
La société et l'état n'ont ni exigences ni droits. Ils n'existent que pour la commodité des individus. Godwin touche ici à l'éternelle confusion entre justice et loi. La première, affirme-t-il, est fondée sur des vérités morales immuables, tandis que la seconde découle des décisions d'institutions politiques faillibles. L'être humain doit reconnaître ce qui est juste à l'aide de sa propre conscience ; ce sont les faits, et non l'autorité, qui doit orienter sa conduite. De ce raisonnement découle l'affirmation selon laquelle les gouvernements ne disposent d'aucun droit à l'obéissance de leurs sujets. L'exercice autonome de la raison est la seule véritable règle de conduite applicable à la découverte de la justice. Si tout le monde écoutait la voix de la raison, la société serait libre et harmonieuse.
Même Bakounine, qui n'hésite pas à monter aux barricades et loue le caractère sanguinaire des soulèvements paysans, traverse des périodes de doute, comme en fait foi ce commentaire empreint d'idéalisme déçu: « Les révolutions sanglantes, grâce à la stupidité humaine, deviennent parfois nécessaires, mais elles sont malgré tout un mal, un grand mal et un gros malheur, non seulement sur le plan de leurs victimes, mais aussi sur le plan de la pureté et de l'ampleur avec lesquelles elles touchent le but pour lequel elles se réalisent.
En 1936, soit près d'un siècle après la parution de La réaction en Allemagne, Buenaventura Durruti, figure de premier plan de l'anarchisme espagnole, constate la dévastation causée par la guerre civile et se vante à Pierre Van Paassen en ces termes: « Nous, les travailleurs, [...] n'avons pas peur des ruines. Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l'Histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos coeurs. »