Il y avait un monde fou, chez Ida. Toutes les tables étaient occupées et on s'écrasait devant le bar. A la porte, Ida Mazuzzi refoulait un quatuor déjà passablement éméché en expliquant qu'elle n'aurait pas une table de libre avant au moins une heure.
- Quels ploucs ! marmonna Ida en rajustant sa gaine et en replantant son cigare entre les dents.
Ida portait allégrement ses cent cinquante kilos, et elle avait fini par se convaincre que c'était un poids tout à fait raisonnable et qui convenait parfaitement à son genre de beauté. Elle était rousse et se coiffait comme Alice au pays des Merveilles : petite frange et queue de cheval. Mais on n'osait imaginer les dégâts qu'elle aurait causés si elle avait tenté de se faufiler dans un terrier de lapin.
Je souffre d'un grave manque de femmes.
je souffre d'un grave manque d'argent.
Jameson écarta le rideau de la fenêtre et tapa rageusement du pied. Sous sa robe de chambre de satin bleu paon brodé de myosotis rouge et or serrée à la taille par une cordelière orange, il portait un pyjama de soie violette. Ses babouches de style oriental étaient vertes et garnies de petits grelots.
- Je ne saurais dire précisément de quoi il s'agit, mais j'ai le sentiment que les sourires qu'on nous adresse ne sont pas sincères. Bien sûr, ils sont contents de travailler, vu que leurs plus grands artistes émigrent tous à Hollywood...
Hitchcock tenta en vain de croiser les jambes et abandonna avec un soupir.
- Qui irait le leur reprocher? Lubitsch est parti; il a envoyé des messages enthousiastes pour dire que l'argent coulait à flot là-bas, si bien que F.W Murnau, Paul Léni et un tas d'autres acteurs en ont fait autant. Et qu'est-ce qui leur reste? demanda t-il avec des trémolos dans la voix. Moi et quelques-uns de leurs compatriotes de deuxième choix.