Or, c’est justement ce sur quoi travaille Wendell Berry, depuis près de soixante ans. Il est temps de le lire.
Wendell Berry est né en 1934 dans le Kentucky, au sein d’une famille d’agriculteurs ; après avoir voyagé, notamment en Italie, étudié et enseigné la littérature, il a racheté une ferme dans la région de naissance de ses parents, où il cultive la terre avec des méthodes biologiques, refusant la motorisation et lui préférant l’usage des chevaux, à l’instar des amish qu’il admire. Il a aussi beaucoup milité de manière non violente contre la guerre du Vietnam et la peine de mort, mais aussi contre l’industrie du charbon et en faveur des petits paysans, continuant ainsi l’engagement de son père qui, dans l’élan du New Deal, avait créé des coopératives. Méconnu sur le vieux continent, où son œuvre est peu traduite, il est l’un des écrivains les plus prolifiques (une soixantaine d’ouvrages) et honorés des Etats-Unis, non seulement pour ses romans et sa poésie, mais aussi pour ses essais consacrés à la vie rurale, à la place du paysan dans la société, au rapport à la nature ainsi qu’au mal-être des individus et des communautés dans la société industrielle. Chose rare à notre époque, c’est un individu d’une très grande intégrité morale et intellectuelle ; à tout le moins s’efforce-t-il d’être cohérent, d’aller jusqu’au bout de ses engagements, de ses prises de positions et des valeurs qui les fondent : sa vie est, autant que faire se peut, conforme à ce qu’il défend, et, malgré sa notoriété, il s’est bien gardé de se laisser happer par les postures de pouvoir – institutionnelles ou autres – qui étaient à sa portée. Il est important de le noter, parce que la méfiance vis-à-vis du pouvoir et de ce qu’il appelle l’esprit héroïque (la volonté de tout changer en grand, l’hubris sociétale ou technologique) est une constante dans son œuvre – ce qui en fait un parfait disciple de Henri David Thoreau et, pour un lecteur français, ne manque pas d’évoquer la pensée de Bernard Charbonneau.
La seule chance offerte [à l'humanité] serait de reconnaître que, devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d'égalité avec toutes les autres formes de vie qu'elle s'est employée et continue de s'employer à détruire. Mais si l'homme possède d'abord des droits au titre d'être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l'humanité en tant qu'espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l'humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l'existence d'autres espèces ... Les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme avec les autres espèces vivantes… Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses semblables n’est qu’un cas particulier du respect qu’il faudrait ressentir pour toutes les formes de vie.