AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


Depuis que le Nain a des devoirs, il les fait sur la table ronde de la cuisine, toujours face à la fenêtre. La présence de la Moman, le bruit du couteau sur la planche à découper, le carillon de la fourchette qui cogne contre le plat quand elle touille il ne sait quoi… ça le rassure. Surtout quand elle sautille d’un pied sur l’autre enchaînant des simili-entrechats ou répète des petits pas de danse entre la gazinière et la table de la cuisine pendant que la soupe mijote. C’est pas souvent et ça dépend de ses cachets mais il adore l’entendre chantonner. Et quand il bute sur un exercice, il peut lui demander de l’aide même s’il se rend bien compte que plus il avance dans les leçons moins elle lui apporte de réponses. Surtout en maths. Alors même quand elle n’est pas rentrée du travail, il s’installe à la cuisine, l’habitude. Quand il bute sur un exercice, il s’échappe en regardant par la fenêtre, la tête posée sur une main, le coude pour trépied. Il lève les yeux et il va se perdre dans le ciel loin de la peinture jaunasse qui vieillit gras au plafond. Une fois traversé le bleu, dépassé Dieu qui des fois fait des crêpes, lave ses nuages ou cuve le vin de messe, il s’enfonce dans le noir de l’univers, broie les planètes au creux de sa main, éclate les Martiens qui giclent vert, écrabouille les fusées entre ses doigts comme des moustiques, gobe des poudrées de voie lactée qui craquent sous la dent, il aime bien, ça fait des petites explosions. Des fois, il shoote dans la Lune. Un coup de pied rageur. Si elle est pleine comme un gros ballon, il lui arrive de la crever avec un ciseau pour regarder le magma de lumière qui dégouline visqueux laissant de grandes traînées phosphorescentes avant de s’éteindre dans l’infini du nulle part. Mais quand elle fait un croissant, ça change tout. Il s’allonge dans le creux et imagine Diana à ses côtés. C’est la voisine du bâtiment A, il en est raide dingue. Comme elle a treize ans, elle ne le calcule pas. Quand il la voit, il n’ouvre pas les yeux pour la regarder mais pour la laisser passer. Elle va direct au cœur. Et elle ne s’arrête pas là. Quelques secondes suffisent pour qu’il la sente se diffuser en lui. Il aime bien la sentir là, au chaud. Surtout qu’il a peur pour elle. Il est persuadé qu’un jour elle va se faire attraper et les flic vont l’envoyer en foyer ou en famille d’accueil, loin de sa mère qui vend de l’héro aux toxs du quartier. C’est Diana qui livre. Blonde comme un ange, toujours habillée comme une Barbie et une vraie petite comédienne. Si en mode pétasse-connasse, elle joue à allumer les garçons du quartier en faisant des manières avec ses mèches de cheveux, en mode Deliv’tox, elle sait très bien écarquiller des yeux de biche qui s’émerveillent d’un chaton courant après un papillon ou verser des larmes de crocodile à la vue d’un Bernard saucissonné dans les escaliers. Alors personne ne se méfie. Et si les flics venaient à la serrer sur un coin de trottoir, elle est mineure, elle n’ira pas en prison. C’est pour ça que sa mère lui bourre les poches de sachets de poudre et lui dit avec son accent des pays de l’Est : va chercher argent. mais avant, sa mère appelle son ange gardien, Karim, un dingue d’un mètre soixante sur un mètre de large qui veille à ce qu’elle revienne intacte et surtout qu’il ne manque pas un euro. C’est une connaissance de sa daronne. Le temps que Diana descende les escaliers, il est déjà à la grille. Pas question qu’elle déambule seule avec autant de marchandise. Avec les toxs tout est possible. Ils pourraient lui faire du mal. Pour lui piquer la poudre. Ou les billets. Ou la violer. Même si elle n’a pas encore de nichons ou à peine de poils, les toxs ça ne les dérange pas. Mais pour ça, faudrait descendre Karim. Et si ça arrivait, le Nain filerait droit chez Tonio prendre un fusil. Avec les toxs ce serait une vraie boucherie. Après, il monterait la garde pour que les chats ne viennent pas mâchouiller la bidoche éparpillée. Les toxs sont tellement tox que les minous risqueraient l’overdose simplement en mordillant un doigt arraché ou en léchant une moitié de poumon éparpillée sur le lino. Mais il préfère ne pas y penser.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}