A votre place, je ne raconterais jamais l'histoire portant sur les méthodes de meurtre les plus ingénieuses : vous ne pouvez jamais deviner si quelqu'un à votre table, ne ressent pas quelque lassitude vis-à-vis de son conjoint.
"Le cri".
FRANCESCA. – Tu regrettes les grandes actions que tu aurais pu faire ?
PAOLO. – Quelle idée ? Non, mais je me rappelle les choses. En quatorze ans les Gibelins définitivement chassés de Florence, la grande ligue guelfe embrassant toute l’Italie, Pise vaincue, et Ugolin n’y triomphant que pour mourir de faim, enfermé avec ses enfants et ses petits-enfants à la tour Gualandi ; l’autre jour encore la décisive bataille de Campaldino… Et puis Venise, prenant le contre-pied des autres et broyant sa démocratie pour en faire un lambeau sec et inanimé, comme une chouette qui broie une souris du bec. Et la ruine de Manfred, et sa mort, les Vêpres siciliennes, tous ces bouleversements…
FRANCESCA, l’interrompant au milieu de sa pause. – Tous ces bouleversements ! (Elle rit.) Et de ces quatorze ans, moi, je ne me rappelle qu’une chose, une seule, mais elle vaut toute l’Italie avec toute son histoire. Elle se nomme Amour.
Une longue série de petits malheurs, reliés entre eux de manière à laisser suggérer une sorte d'étrange fatalité, m'ont très tôt façonné un tempérament mélancolique et, avant d'avoir atteint l'âge de raison, je me croyais sincèrement poursuivi par une malédiction, malheur qui n'était pas dirigé sur moi seul, mais que je partageais avec toute ma famille et tous ceux qui portaient mon nom.