AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Fernand Braudel (125)


"Qu'est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. Voyager en Méditerranée, c’est trouver le monde romain au Liban, la préhistoire en Sardaigne, les villes grecques en Sicile, la présence arabe en Espagne, l’Islam turc en Yougoslavie. C'est plonger au plus profond des siècles, jusqu'aux constructions mégalithiques de Malte ou jusqu'aux pyramides d'Égypte. C'est rencontrer de très vieilles choses, encore vivantes, qui côtoient l'ultra-moderne: à côté de Venise, faussement immobile, la lourde agglomération industrielle de Mestre; à côté de la barque du pêcheur, qui est encore celle d'Ulysse, le chalutier dévastateur des fonds marins ou les énormes pétrolières. C’est tout à la fois, s’immerger dans l’archaïsme des mondes insulaires et s’étonner devant l’extrême jeunesse de très vieilles villes ouvertes à tous les vents de la culture et des profits qui depuis des siècles, surveillent et mangent la mer. Tout cela, parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : homme, bêtes, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre. Et même les plantes. Vous les croyez méditerranéennes. Or, à l’exception de l’olivier, de la vigne et du blé - des autochtones très tôt en place - elles sont presque toutes nées loin de la mer.

Si Hérodote, le père de l’histoire qui a vécu au Ve siècle avant notre ère, revenait mêlé aux touristes aujourd’hui, il irait de surprise en surprise. Je l’imagine, écrit Lucien Febvre, « refaisant aujourd’hui son périple de la Méditerranée orientale. Que d’étonnements ! Ces fruits d’or, dans ces arbustes vert sombre, orangers, citronniers, mandariniers, mais il n’a pas le souvenir d’en avoir vu de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Extrême-Orientaux, véhiculés par les Arabes. Ces plantes bizarres aux silhouettes insolites, piquants, hampes fleuries, noms étrangers, cactus, agaves, aloès, figuiers de Barbarie – mais il n’en vit jamais de son vivant. Parbleu ! Ce sont des Américains. Ces grands arbres au feuillage pâle qui, cependant, portent un nom grec, eucalyptus : oncques n’en a contemplé de pareils. Parbleu ! Ce sont des Australiens. Et les cyprès, jamais non plus, ce sont des Persans. Tout ceci pour le décor. Mais quant au moindre repas, que de surprises encore – qu’il s’agisse de la tomate, cette péruvienne ; de l’aubergine, cette indienne ; du piment, ce guyanais ; du maïs, ce mexicain ; du riz, ce bienfait des Arabes, pour ne pas parler du haricot, de la pomme de terre, du pêcher, montagnard chinois devenu iranien, ni du tabac. » Pourtant, tout cela est devenu le paysage même de la Méditerranée : « Une Riviera sans oranger, une Toscane sans cyprès, des éventaires sans piments… quoi de plus inconcevable, aujourd’hui, pour nous ? » (Lucien Febvre, Annales, XII, 29).

Et si l'on dressait le catalogue des hommes de Méditerranée, ceux nés sur ses rives ou descendant de ceux qui, au temps lointain, ont navigué sur ses eaux ou cultivé ses terres et ses champs en terrasses, puis tous les nouveaux venus qui tour à tour l'envahirent, n'aurait-on pas la même impression qu'en dressant la liste des ses plantes et de ses fruits.

Dans son paysage physique comme dans son paysage humain, la Méditerranée carrefour, la Méditerranée hétéroclite, se présente dans nos souvenirs comme une image cohérente, comme un système où tout se mélange et se recompose en une unité originale. Cette unité évidente, cet être profond de la Méditerranée, comment l'expliquer ? L'explication, ce n'est pas seulement la nature qui, à cet effet, a beaucoup œuvré ; ce n'est pas seulement l'homme, qui a tout lié ensemble obstinément ; ce sont à la fois les grâces de la nature ou ses malédictions, les unes et les autres nombreuses et les efforts multiples des hommes, hier comme aujourd'hui. Soit une somme interminable de hasards, d'accidents, de réussites répétées.

Plus qu’aucun autre univers des hommes, la Méditerranée ne cesse de se raconter elle-même, de se revivre elle-même. Par plaisir sans doute, non moins par nécessité. Avoir été, c'est une condition pour être."
Commenter  J’apprécie          40
Fernand Braudel
Certes, les civilisations sont mortelles, dans leurs floraisons les plus profondes; certes, elles brillent, puis elles s'éteignent, pour refleurir sous d'autres formes. Mais ces ruptures sont plus rares, plus espacées qu'on ne le pense. Et surtout, elles ne détruisent pas tout également. Je veux dire, que dans telle ou telle aire de civilisation, le contenu social peut se renouveler deux ou trois fois presque entièrement sans atteindre certains traits profonds de structure qui continueront à la distinguer fortement des civilisations voisines. Il y a, si l'on veut, plus lente encore que l'histoire des civilisations, presque immobile, une histoire des hommes dans leurs rapports serrés avec la terre qui les porte et qui les nourrit; c'est un dialogue qui ne cesse de se répéter, qui se répète pour durer, qui peut changer et change en surface, mais qui se poursuit, tenace, comme s'il était hors de l'atteinte et de la morsure du temps. Si je ne me trompe, les historiens commencent à prendre conscience, aujourd'hui, d'une histoire nouvelle, une histoire lourde dont le temps ne s'accorde plus à nos anciennes mesures.
Commenter  J’apprécie          80
Fernand Braudel
Tout le passé pèse sur le présent.
Commenter  J’apprécie          240
Il m'est arrivé un soir, à l'intérieur de l’État de Bahia, d'être pris brusquement au milieu d'une montée prodigieuse de lucioles phosphorescentes. Elles éclataient partout, sans arrêt, innombrables, en gerbes au sortir des taillis et des fossés de la route, comme autant de fusées, trop brèves pourtant pour éclairer le paysage avec netteté. Ainsi des événements, ces points de lumière. Au-delà de leur éclat plus ou moins vif, au-delà de leur propre histoire, tout le paysage environnant est à reconstituer.
Commenter  J’apprécie          50
Ainsi les dunes, bien accrochées à des accidents cachés du sol: leurs grains de sable vont, viennent, s'envolent, s'agglomèrent au gré des vents mais, somme immobile d'innombrables mouvements, la dune demeure en place.
Commenter  J’apprécie          170
Fernand Braudel
Il est sûr que Napoléon a continué, en la stabilisant et en la maîtrisant, la Révolution, ajoutant aux incertitudes de son destin global l’incertitude dramatique de sa propre destinée, la fragilité d’un régime illégitime et qui doit se justifier, vaille que vaille, par des succès ininterrompus. FERNAND BRAUDEL dans Grammaire des civilisations

Commenter  J’apprécie          30
L'histoire est toujours à recommencer, elle est toujours se faisant, se dépassant. Son sort n'est autre que celui de toutes les sciences de l'homme. Je ne crois donc pas que les livres d'histoire que nous écrivons soient valables pour des décennies et des décennies. Il n'y a pas de livre écrit une fois pour toutes, et nous le savons tous.
Commenter  J’apprécie          50
L'histoire d'une civilisation, par suite, est la recherche parmi des coordonnées anciennes, de celles qui restent valables aujourd'hui encore. Il ne s'agit pas de nous dire tout ce que l'on peut savoir à propos ou de la civilisation grecque, ou du Moyen Age chinois, mais tout ce qui, de cette vie de jadis, reste efficace aujourd'hui même, dans l'Europe occidentale ou de la Chine de Mao Tse-toung. Tout ce par quoi passé et présent se court-circuitent, souvent à des siècles et des siècles de distance.
Commenter  J’apprécie          120
Fernand Braudel
Fernand BRAUDEL a écrit ou dit : "Un présent sans passé n'a pas d'avenir". Quelqu'un connaîtrait-il la référence exacte de cette citation (ouvrage, quelle page, etc.) ? Vous me rendriez un grand service dans le cadre de mon rapport : )
Commenter  J’apprécie          83
Jadis, tu travaillais pour le seigneur. Avant-hier, tu travaillais pour le propriétaire. Hier et aujourd’hui, tu travailles pour l’Etat et pour les banques. (…)
Tout n’est peut-être pas nouveau dans la France nouvelle d’aujourd’hui.
Commenter  J’apprécie          120
(…) la vie paysanne a longtemps offert, à une population sûrement en excès, un certain équilibre de vie (…).On ne vivait pas misérablement dans les mas de l’Aspre – pauvrement, durement, oui, mais ce n’est pas la même chose. Comme me le disait plaisamment mais finement un de mes amis, fils de paysans, né en 1899 : « Nous ne manquions de rien, sauf d’argent… ».
Commenter  J’apprécie          60
J’ai montré à satiété qu’une France paysanne ancienne, celle des bourgs, des villages, des hameaux, des habitats dispersés, a duré, assez semblable à elle-même, jusqu’en 1914 sûrement, jusqu’en 1945 probablement. Au-delà de 1945, elle a été victime des « Trente Glorieuses », de cet essor sans pareil qui devait durer jusqu’aux années soixante-dix et qui, sans nul doute, quand il reprendra, sera plus constructeur et destructeur encore qu’il n’a été.
Il s’en faut qu’avant 1945, et même avant 1914, les campagnes françaises n’aient pas connu de sérieux progrès. Il y a eu progrès de l’espace cultivé, progrès de la production, progrès des méthodes de culture avec l’utilisation des engrais dont j’ai indiqué les interventions successives ; il y a eu, à partir de 1822 au moins, progrès dans la construction des charrues et, plus tard, une série de mécanisations efficaces : les batteuses à pétrole, les faucheuses, les moissonneuses-lieuses.
Il y a eu, détail plus significatif encore, résorption d’une population démunie, vagabonde à l’occasion, dangereuse aussi – cela avec les premières années du XXe siècle. C’est alors l’appel des villes qui a, peu à peu, débarrassé les campagnes de la plaie jusque-là inguérissable des populations flottantes.
Commenter  J’apprécie          30
N’est-ce pas tout à la fois le charme et le malheur de la France de ne pas avoir été gagnée, ce qui s’appelle gagnée, par le capitalisme ? Son charme : elle aura vécu autrement que beaucoup d’autres peuples. Son malheur : elle n’aura pas été consciente de ses possibilités et de ses richesses, elle n’a pas su jouer à plein dans la lutte entre les puissances du monde.

Pas assez capitaliste la France ? Oui, sans doute. Mais exploitée par le capitalisme, oui, sans hésitation.
Commenter  J’apprécie          70
En fait le pouvoir, toutes les formes de pouvoir appartiennent à des minorités à ce point victorieuses que, partout, elles naviguent à leur aise – et pour leur avantage – sur la mer immense des non-privilégiés. N'est-ce pas l’occasion de reprendre le titre du livre de Pierre Goubert « Louis XIV et vingt millions de Français » ? Ces vingt millions, mal liés, mal soudés entre eux et qui laissent la France, c’est-à-dire leurs propres personnes et leurs biens et leur travail, à la disposition d’une aristocratie étroite.
Commenter  J’apprécie          60
(…) la vigoureuse expansion bancaire et industrielle qui suit le coup d’Etat de Napoléon III, quelque chose qui ressemble à nos Trente Glorieuses d’après 1945, (…)
Commenter  J’apprécie          20
Au prince il a fallu conquérir la monnaie comme il a conquis les provinces qui ont agrandi son royaume ; il en a surveillé les frappes, fixé la valeur, contrôlé la diffusion. La monnaie du roi a fait le roi.
Mais toute monnaie est une réalité fuyante, l’anguille qui échappe à la main du pêcheur. Il faut courir après elle, multiplier défenses et recommandations [i.e. par les édits]
Commenter  J’apprécie          20
La ville a longtemps, très longtemps, pesé beaucoup moins lourd en hommes que les campagnes. Chez nous, jusqu’en 1931.
Commenter  J’apprécie          10
La superstructure urbaine est un système perché qu’explique le monde paysan sous-jacent, condamné à le porter sur ses épaules.
Commenter  J’apprécie          30
L’économie paysanne ne s’effacera vraiment qu’avec la tempête des Trente Glorieuses (1945-1975).
Commenter  J’apprécie          20
(…) finalement, en dépit du retard des évolutions à la base, l’ensemble peu à peu se déforme en profondeur. Alors une autre économie, une autre France se dégagent à travers les turbulences, les changements et les violences de la contemporanéité. Elle vient seulement de surgir sous nos yeux.
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Fernand Braudel (1021)Voir plus

Quiz Voir plus

La panthère des neiges - Sylvain Tesson

Où part Sylvain Tesson dans "la panthère des neiges" ?

Île de Sumatra
Australie
Tibet
France

7 questions
95 lecteurs ont répondu
Thème : La panthère des neiges de Sylvain TessonCréer un quiz sur cet auteur

{* *}