Être une auteure n’est pas facile. Lors de Libris en folie, il me semble que la pauvre n’a vendu aucun livre. Pour ma part, grâce à vous, j’en ai vendu par centaines. Je peux donc comprendre sa réaction. Pendant le salon, j’ai pourtant voulu discuter avec elle, mais elle n’a pas accepté de me parler. La jalousie, peut-être. Je suis habituée à ce genre de coup bas, mes guerrières. Ça ne vole pas toujours très haut et c’est dommage.
L’année dernière, une critique sur Babelio m’a fait beaucoup de mal. Je me souviens encore du pseudo de son auteur. C’était une femme. Kobachi. Elle avait détruit un de mes romans avec une violence inouïe. Et pas en quelques lignes ! Son texte haineux faisait plus de deux pages. Je l’ai très mal vécu. Alors je me dis que si Best-seller marche bien, je risque d’avoir de très nombreuses critiques de ce genre.
J’éprouvai alors une multitude de sentiments négatifs, allant de la honte à la colère, en passant par l’amertume. Je pris alors une décision. Mon prochain livre serait un best-seller. S’il ne l’était pas, j’arrêterais d’écrire. Je m’en fis la promesse solennelle.
« Non, pas du tout. Les intellectuels sont comme tout le monde, ils aiment ce qui est innovant et dérangeant. En vérité, les intellectuels s’emmerdent. Ils donnent généralement des prix à des romanciers pistonnés qui font chier tout le monde, qui écrivent des livres que personne ne lit, car ils ne sont pas accessibles au grand public. Pourtant, ils se vendent parce que ça fait toujours bien de les avoir dans une bibliothèque. »
Elle manipulait le livre comme on regarde les ingrédients d’une boîte de conserve. Puis elle le reposa, avec dédain. Son attitude était lourde de signification. Sans un mot, elle disait tout. « C’est invendable, ce truc ». « La quatrième de couv’ ne donne vraiment pas envie ». « La couv’ elle-même est pourrie ». « Encore une qui se prend pour un auteur mais qui n’a pas le talent ! ».
À vingt-cinq ans, ma vie ressemblait à un véritable désastre. J’avais renoncé à une carrière dans l’enseignement qui m’ouvrait grand les bras, pour me consacrer entièrement à l’écriture, la tête pleine de rêves. Depuis trois ans, je vivais donc de mes droits d’auteur et des quelques traductions que je faisais en free-lance. Vivre était un bien grand mot.
Comme toujours, j’avais un peu menti. Je m’étais vantée d’avoir fait de belles rencontres et d’avoir vendu de nombreux livres. Avec le temps, j’avais remarqué que se plaindre sur les réseaux sociaux n’était pas vendeur. En le faisant, on était vite considéré comme un loser et les losers n’intéressent personne.
Il y a presque plus d’auteurs en policier que de lecteurs. Trop de concurrence. Notez que la tendance à écrire des pavés est ridicule. Ils étaient dix d’Agatha Christie et les chefs-d’œuvre de Conan Doyle n’avaient rien à voir avec les bottins téléphoniques que publient maintenant les éditeurs.
Elle ne me répondit pas, se contentant d’un haussement de sourcils, pour me signifier que la romancière, c’était elle, et que moi je ne valais pas plus que la bombe de désodorisant à la lavande posée sur les W.-C. J’eus l’impression cruelle et peut-être fondée d’être une moins que rien.
Mon cœur et mon corps étaient en jachère depuis un bon moment. Pour me donner un semblant de moral, je ne cessais de me répéter cette banalité, qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée, me résignant à accepter que mon Womanizer devienne mon seul et unique générateur d’orgasmes.