En somme, la Recherche offre un exemple rare, et peut-être unique, de récit à la première personne où la fictionnalité ne s'impose ni en raison d'une déclaration paratextuelle nin à travers le nom du narrateur, mais à la faveur de certains éléments récurrents de contenu, et de certaines irrégularités dans la forme narrative.
L'histoire traite de l'humanité au pluriel plutôt qu'au singulier, et porte sur des événements et des changements affectant des sociétés entières plutôt que l'existence des individus pris isolément. C'est pourquoi la biographie est souvent considérée comme un genre historique mineur, et même par certains comme "une forme simple d'historiographie". Dans la fiction, en revanche, ce sont des intrigues centrées sur la vie d'individus isolés et plus ou moins singuliers qui structurent les modes génériques dominants, ce qu'on appelle le "roman de l'individu" en français et le "Figurenroman" en allemand.
Tout cela confirme mon hypothèse selon laquelle les récits à la première personne ne sont en général ni écrits ni lus, comme des demi-autobiographies ou des demi-romans ; ils sont proposés et reçus soit comme l'un soit comme l'autre, même lorsqu'on ne les prend pas pour ce qu'ils étaient censés être.
Je me propose de démontrer que le récit fictionnel est unique par sa capacité à créer un univers clos sur lui-même, gouverné par des structures formelles qui sont exclues de tous les autres types de discours.
Il faut choisir : vivre ou raconter.
JP Sartre - la Nausée
La vie nous apprend que nous ne pouvons pas la raconter pendant que nous la vivons, pas plus que nous ne saurions la vivre pendant que nous la racontons.