Je me souviens alors de ce que mon grand-père m'a dit à propos de la tristesse ; que les peines et les chagrins sont la seule façon de mesurer le temps, parce que sans tristesses, les hommes se perdraient dans une infinité de siècles de bonheur.
Il n'est pas possible d'avancer vers le futur sans buter sur le passé.
Mais n'oubliez pas que tout était différent autrefois. Les temps étaient différents. Vous êtes jeune et vous ne pouvez certainement pas vous souvenir, mais à l'époque, l'air sentait le souffre. Personne ne pouvait ouvrir la bouche. C'était chacun pour soi et le diable pour tous.
Je ne m'arrête pas de courir. Tant que j'y arrive encore, tant que je ne m'effondre pas de fatigue, à bout de souffle, je cours dans ce dédale d'allées où les morts vivent dans le silence.
C'est le problème de beaucoup d'histoires. Selon le côté où l'on se place, l'angle avec lequel on les regarde, elles nous paraissent différentes. Il croit qu'il a gagné. Je crois qu'il a perdu. Il pense avoir convaincu mon grand-père de ne pas le tuer, mais c'est mon grand-père qui l'a convaincu de mourir.
Comme il n'avait rien à faire, il vivait dans ses souvenirs. Mais combien de temps un homme peut-il supporter de vivre sans de nouveaux souvenirs ?
Mais l'Histoire ne se répète pas. On ne peut que la raconter.
Les dictatures se fabriquent toujours des ennemis pour justifier leurs mesures autoritaires et leurs chasses aux sorcières.
Les archives de Tarrafal sont désormais tombées dans le domaine public et seuls ceux qui n'ont pas voulu les consulter ignorent aujourd'hui ce qui s'y est passé.
Il était l'ombre d'une ombre, car la vie qu'il vivait était à deux vies de distance de celle qui lui avait été volée.