Chrétien de TROYES Au plaisir de lire 'Le chevalier de la charrette' (France Culture, 1964)
L'émission "Plaisir de la lecture", par Maurice Toesca, diffusée le 28 décembre 1964. Lecture : René Clermont.
Elle se rendit auprès de la reine, en disant :
« Au nom du ciel, madame, dans votre intérêt et dans le nôtre, je vous demande de me dire, si vous le savez, le nom de ce chevalier, afin de lui venir en aide.
— Dans ce que vous me demandez, mademoiselle, fait la reine, je ne vois rien d'hostile ni de méchant, tout au contraire. Lancelot du Lac, c'est le nom du chevalier, que je sache.
— Mon Dieu, j'en ai le sourire au cœur et je retrouve la vie ! » fait la jeune fille.
Elle saute en avant et l'interpelle à haute voix, si fortement que tous l'entendent :
« Lancelot, retourne-toi et regarde qui est là, les yeux fixés sur toi ! »
Quand Lancelot entendit son nom, il fut prompt à se retourner.
Le Chevalier, à pied et sans lance,
S'avance vers la charrette
Et voit sur les limons un nain
Qui, en bon charretier, tenait
Dans sa main une longue baguette.
Et le Chevalier dit au nain:
Nain, fait-il, pour Dieu, dis-moi tout de suite
Si tu as vu par ici
Passer ma dame la reine.
Le nain perfide et de vile extraction
Ne voulut point lui en conter des nouvelles,
Mais se contenta de dire: Si tu veux monter
Sur la charrette que je conduis,
D'ici demain tu pourras savoir
Ce qu'est devenue la reine.
Sur ce, il a maintenu sa marche en avant
Sans attendre l'autre l'espace d'un instant.
Le temps seulement de deux pas
Le Chevalier hésite à y monter.
Quel malheur qu'il ait hésité, qu'il eût honte de monter,
Et qu'il ne sautât sans tarder dans la charrette!
Cela lui causera des souffrances bien pénibles!
Prêtez-moi le coeur et l'oreille car la parole se perd si le coeur n'entend pas.
Ton chagrin n'est qu'une joie et ton malheur est un bonheur à côté du mal qui me ronge et me détruit. Quand on est habitué à vivre dans le plaisir et la joie, un petit malheur semble plus insupportable qu'à quelqu'un d'un peu endurci par la vie.
La demoiselle par la main
Emmène Monseigneur Yvain
Là où il est très chèrement tenu.
Lui craint d'être mal reçu,
Et s'il le croit, c'est naturel.
Sur un grand coussin vermeil,
Ils trouvent la dame assise.
Grand peur, je vous l'assure,
Messire Yvain a eu à l'entrée
De la chambre où ils ont trouvé
La dame qui ne lui disait rien.
Ce silence l'effraya fort :
Il fut de peur si ébahi
Qu'il pensa bien être trahi ;
Et il se tint debout loin d'elle
Jusqu'au moment où la pucelle
Lui dit : « Qu'elle aille au diable
Celle qui apporte à une dame
Un chevalier qui ne s'en approche pas
Et qui n'a ni langue, ni bouche,
Ni esprit qui lui permette de penser
Et de commencer à parler ! »
Le chevalier de la charette s'est enfoncé dans ses pensées comme un homme qu'Amour gouverne entièrement au point de le rendre sans force et sans défense.
Quand je vis l'air clair et pur, de joie je fus tout assuré. Et je vis amassés sur le pin des milliers d'oiseaux. Le croit qui veut : il n'y avait branche ni feuille qui n'en fût couverte. C'était bien l'arbre le plus beau !
Quand je vis l'air clair et pur, de joie je fus tout assuré. Et je vis amassés sur le pin, des milliers d'oiseaux. Le croit qui veut : il n'y avait branche ni feuille qui n'en fût couverte. C'était bien l'arbre le plus beau ! Doucement les oiseaux chantaient chacun en son langage. Très bien leurs chants s'entraccordaient.
De leur joie je me réjouis. j'écoutais jusqu'au bout leur office. Jamais je n'ouïs si belle musique. Nul homme ne peut en ouïr tel chant si plaisant et si doux que je crus en rêver folie !
Le Graal est chose si sainte
Et lui si pur esprit
Qu’il ne lui faut pas autre chose
Que l’hostie qui vient dans le Graal.
Il est resté ainsi douze ans,
Sans sortir de sa chambre
Où tu as vu entrer le Graal.
Ils se rendent leurs coups avec rage comme s'ils respectaient un contrat.
Les jeunes gens porteurs des candélabres
Etaient d’une grande beauté.
Sur chaque candélabre brûlaient dix chandelles pour le moins.
D’un graal tenu à deux mains
Etait porteuse une demoiselle,
Qui s’avançait avec les jeunes gens,
Belle, gracieuse, élégamment parée.
[…]
Le jeune homme les vit passer
Et il n’osa pas demander
Qui l’on servait de ce graal,
Car il avait toujours au cœur
La parole du sage gentilhomme.
J’ai bien peur que le mal ne soit fait,
Car j’ai entendu dire
Qu’on peut aussi bien trop se taire
Que trop parler à l’occasion.