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Citations de Charles-Paul de Kock (11)


– Car, mon lieutenant, ça ne peut pas toujours aller ainsi, et vous en conviendrez vous-même. Le grand Turenne ne menait pas quatre batailles de front et ne se trouvait pas à six affaires dans la même journée...

– Non, mon cher Bertrand, mais César dictait en même temps quatre lettres dans différentes langues, et Pic de la Mirandole se flattait de connaître et de pouvoir discuter de omni re scibili , et quibusdam aliis.
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— C'était un matin ; je me promenais dans le petit jardin en te tenant dans mes bras. Tu riais, tu semblais tout radieux, parce que le soleil du printemps commençait de briller sur les feuilles naissantes, et, moi, je pleurais en considérant un rosier que ton père avait planté, l'automne dernière, sous la fenêtre de ma chambre à coucher, en se réjouissant à l'idée des parfums que me réserveraient ses fleurs.

— Tout à coup, Geneviève, ma bonne servante badoise, qui n'avait pas voulu me quitter, malgré tous mes malheurs, accourt, toute pâle :

— Madame, balbutie-t-elle, voici quatre hommes qui demandent à vous parler... Oh ! mon Dieu !... Et je les ai bien reconnus trois d'entre eux sont les mêmes qui sont venus ici chercher monsieur !…

— Quatre hommes, sortant de la maison, s'avançaient en effet vers moi. Trois d'entre eux, Geneviève ne s'était pas trompée, étaient de ceux qui avaient arrêté ton père.

— Le quatrième, marchant à leur tête, oh ! je le reconnus tout de suite, quoique je ne l'eusse vu qu'une ou deux fois à Paris, le quatrième, c'était l'accusateur public ; c'était Foucquier-Tinville.

— Foucquier-Tinville pouvait avoir alors une cinquantaine d'années ; il était maigre, de moyenne taille ; vêtu avec une simplicité qui n'excluait pas certaine recherche. Il ôta son chapeau en m'abordant, et ses compagnons l'imitèrent, et il me dit, d'un ton dont la politesse contrastait avec l'ignoble tutoiement en usage forcé à cette époque :

— Citoyenne, notre visite te surprend désagréablement, je présume ; mais, j'en suis fâché : tu dois comprendre qu'il est impossible que tu restes plus longtemps ici.

— Ton mari a été jugé et condamné ; il faut que tu comparaisses à ton tour devant le tribunal révolutionnaire.

— Et, en attendant, force nous est de te conduire à l'Abbaye.
À l'Abbaye ! Je savais où l'on allait en sortant de l'Abbaye. Ma salive se sécha dans ma bouche. Cependant je parvins à répondre :

— Et pourquoi comparaitrais-je devant le tribunal révolutionnaire ? Qu'ai-je fait pour aller en prison ? Moi, une femme !... De quoi m'accuse-t-on ? N'est-ce donc pas assez d'avoir tué mon mari ? Pourquoi me tuerait-on aussi ?
Foucquier-Tinville, toujours calme, allait répliquer, mais quelqu'un l'en empêcha.

Ce quelqu'un, c'était toi, mon Paul, mon fils bien-aimé.
Étonné, j'imagine, à l'aspect de ces figures étrangères, étonné plutôt qu'effrayé, comme le terrible pourvoyeur de la justice républicaine ouvrait les lèvres pour me dire probablement que, coupable d'être la femme d'un homme guillotiné la veille, j'aurais mauvaise grâce à ne pas trouver équitable qu'on me guillotinât le lendemain, voilà que tu partis d'un de ces éclats de rire de nouveau-né, expression délicieuse d'une joie dont Dieu seul connaît le secret.

Je tremblai. Je voulus te faire taire. J'avais peur que ta gaieté ne déplût à ces hommes. Mais, te considérant en souriant :

— C'est à toi, cet enfant, citoyenne ? dit Foucquier-Tinville.
— Oui, citoyen.
— Quel âge a-t-il ?
— Dix mois.
— Il est fort pour son âge.. Où est sa nourrice ?
— C'est moi, citoyen, qui le nourris.
— Ah ! c'est toi qui... Ah ! c'est toi qui...

Après avoir proféré ainsi, par deux fois, ces mots, Foucquier-Tinville nous regarda, toi et moi, quelques secondes, en silence.
Mes larmes coulaient. C'était leur dire : Si vous m'envoyez à la mort, que deviendra mon enfant ? Toi, tu continuais de rire. Rire béni ! Il fut plus assurément pour nous que mes pleurs.

— Eh bien ! reprit soudain l'accusateur public en s'adressant à ses compagnons, puisque la citoyenne Kock nourrit, je ne vois pas l'inconvénient qu'il y aurait à la laisser encore un peu ici ? Jusqu'à ce que son enfant soit sevré, par exemple ?

— Mais, objecta un des hommes, tout a été saisi au nom de la loi dans cette maison ; on va tout vendre...

— Et puis ? interrompit Foucquier-Tinville, la citoyenne rachètera son lit et le berceau de son fils ; voilà tout ! Si elle n'a pas d'argent, elle est assez jolie pour trouver quelqu'un qui lui en prête.

C'est convenu, citoyenne ; tu resteras ici cinq ou six mois. Le temps de sevrer ton enfant. Salut et fraternité !

Et Foucquier-Tinville s'éloigna, suivi de ses acolytes. Il s'éloigna rapidement, peut-être pour s'éviter d'entendre mes remerciements ! L'accusateur public ne devait pas être remercié parce qu'il ne devait pas faire grâce.

Toujours est-il que je tombai à genoux quand Foucquier-Tinville et ses hommes furent partis, en remerciant Dieu, et en t'embrassant de toutes mes forces, mon Paul. Car c'est à toi, bien à toi, que je devais la vie !
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Charles-Paul de Kock
On arrive sur la place de l’endroit, c’est là où la fête se tient.

Dans un petit coin, qu’on a sablé et entouré de corde, deux violons et un tambourin font danser la jeunesse du pays. En face il y a deux boutiques ambulantes, l’une de pain d’épice, l’autre de saucissons.
Tout cela est éclairé par quelques lampions posés à terre, et des chandelles entourées de papier.

Au moment où la société arrive, il y avait effectivement une rixe entre les paysans, dont la plupart étaient gris. 

Les paysannes s’étaient sur-le-champ réfugiées d’un autre côté, d’où elles regardaient ces messieurs se battre.
Mais enfin la dispute venait de s’arranger, on se rapprochait, les sexes se mêlaient de nouveau, et on retournait à la danse que l’on avait abandonnée.

- « Vous voyez bien qu’on s’amuse ici, » dit M. Barbeau. « on fait du bruit parce que les paysans n’ont pas l’habitude de parler bas. »

- « C’est cela une fête champêtre ? » Dit Grigou.

- « Attendez donc, nous n’avons pas encore tout vu… Cherchons un traiteur d’abord. »

On cherche, on regarde de tous côtés, mais il n’y a pas plus de traiteur à Bagnolet que de fête à Romainville. On découvre cependant un gargotier, sur la porte duquel est écrit : Jardin champêtre et paysage.

- « Comprenez-vous ce que ça veut dire ? » demande M. Barbeau au peintre.

- « Ma foi non !… »

- « Ni moi, c’est égal, entrons là, nous demanderons un paysage où l’on mange. »

On entre dans la guinguette. On ne reste pas dans la salle, parce que cela y sent l’ail à faire pleurer ; on passe dans le jardin champêtre, derrière la maison.
C’est là que le marchand de vin prétend qu’on voit un paysage, parce que, sur les murs du fond de son jardin, il a fait coller du papier, à treize sous le rouleau, sur lequel sont peints des serins et des perroquets.

La société qui meurt de faim, s’arrête à une table, devant le paysage, et demande ce qu’il y a pour dîner.
On ne peut lui donner que du petit salé et des oeufs frais ; tout le reste a été dévoré par les paysans venus à la fête.
Ce repas arrosé du vin de Bagnolet paraît bien champêtre aux parisiens.
On se dépêche de le prendre et de quitter le « paysage ».

Le bal est en train. Après avoir bourré la société de pain d’épice, en guise de dessert, M. Barbeau veut absolument la faire danser.
Il entraîne sa femme qui résiste en vain, Bellefeuille prend la main de Nonore, les voilà sur le petit terrain sablé.
L’orchestre part ; les paysans étaient partis avant ; la danse est très animée.
Tout à coup d’autres paysans arrivent d’un air furibond, et disent à ceux qui sautent : « nous nous avons défendu de danser avec nos femmes ! »

Et sans attendre de réponse, ils appliquent des coups aux danseurs.
Ceux-ci ripostent, tous les paysans qui sont à la fête accourent et prennent parti pour l’un ou pour l’autre. Le combat devient général.
Les femmes se sauvent en criant, les enfants pleurent, et malgré cela les violons vont toujours.

Au milieu de cette cohue, de cette grêle de coups que les paysans se donnent, Madame Barbeau a perdu son mari, sa fille a été séparée de son danseur.
Ce n’est pas sans peine qu’elles parviennent à sortir de l’enceinte du bal.
Elles appellent leurs époux, leur frère, leurs voix se perdent avec celles des paysannes qui crient pour séparer les combattants.
Au coin de la place ces dames retrouvent Grigou, que deux hommes viennent de relever, et sur lequel quatre paysans se sont battus pendant cinq minutes.

Grigou est moulu, mais il trouve assez de force pour s’éloigner de la fête du village.
Il ne manque plus que M. Barbeau pour fuir de Bagnolet ; il arrive enfin, sans cravate, le col déchiré, mais toujours de bonne humeur.

- "Ah les enragés, comme ils y allaient !"

- "Ah ! Mon ami… D’où venez-vous ? Que j’étais inquiète !"

- "Je viens de me battre."

- "Et pour qui ?"

- "Je n’en sais rien, mais ma foi, tout le monde se battait, j’ai fait comme les autres, j’en ai roulé deux ou trois, et alors on m’a fait de la place."

- "Ah ! Mon dieu ! Quelle partie de campagne !…"

- "Est-ce que vous voulez vous en aller ?"

- "Oui, monsieur, et bien vite encore."

- "Eh bien, en route… Mais je ne vous réponds pas que nous trouverons une voiture à la barrière."

- "Ah ! Monsieur Barbeau, dit Grigou, vous ne me reprenez pas à une fête aux environs de Paris."

(Extrait de "Paris, ou le livre des cent et un")
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- Est-ce que votre mari, le cocher, ne se grisait pas un peu, quelquefois ?...
- Mon défunt ? Jamais !... Fantaisie était sobre comme un cure-dent !... Il n'aimait que le cidre... C'était un Normand.
- Il n'était pas très doux, à ce qu'on prétend...
- Lui ? Par exemple !... Ce sont les mauvaises langues qui ont dit cela... C'était la crème des hommes ! Doux comme un agneau !
- Vous m'étonnez; les cochers n'ont pas l'habitude d'être des agneaux !
- Eh bien, monsieur, Fantaisie en était un, et la preuve, c'est que jamais il n'a eu un seul mot avec ceux qu'il conduisait... Jamais !
- Oh ! Ceci me parait fort...
- C'est comme ça, monsieur, jamais le moindre mot !... Il était cocher de corbillard.
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Quant au colonel, il remercia beaucoup le propriétaire de la maison, et se félicita d’être si bien tombé. Ce dernier le quitta en le priant de faire comme chez lui.
Lorsqu’il fut parti, Mullern fit part à son colonel de ses pensées relativement à leur hôte ; mais le colonel le traita de visionnaire, et ne partagea pas son opinion.
La chambre où couchait Mullern se trouvait positivement en face de celle du maître de la maison ; seulement, comme elle était un étage plus haut, il pouvait distinguer, par-dessus les demi-rideaux qui étaient aux fenêtres, ce qui se passait dans l’appartement de ce dernier.
En rentrant se coucher, Mullern faisait ses conjectures sur la personne chez laquelle ils étaient : tout en réfléchissant, l’heure s’écoula, et il vit à sa montre qu’il était près de minuit. Il se leva pour éteindre sa chandelle, et, en passant près de sa fenêtre, aperçut de la lumière dans la chambre de M. de Monterranville ; la curiosité et le désir de voir s’il ne découvrirait pas quelque chose qui pût justifier ses idées, l’engagèrent à regarder un moment chez son voisin. Il éteignit sa chandelle pour qu’on le crût couché, et se posta doucement dans une encoignure de sa croisée.
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Il était dix heures et demie, les salons de madame de Gervalley étaient déjà occupés par une société nombreuse; on ne dansait pas encore, mais on causait de la pièce en vogue, des courses, des modes; et dans une partie du salon, où plusieurs hommes se tenaient debout, un avocat pérorait avec force gestes, en parlant politique, car les avocats on un terrible penchant pour la politique, probablement parce qu'il savent que ce sujet-là est la pomme de discorde qui fait sur le champ naître des discussions animées qui dégénèrent souvent en querelles, et alors ces messieurs prennent la parole et s'efforcent de vous prouver qu'eux seuls entendent quelque chose aux affaires d'Etat.
J'ai connu un avocat, très aimable quand il ne parlait pas politique; malheureusement, il y revenait sans cesse : il ne pouvait pas se trouver dans une réunion sans y mettre tout en feu, sans y faire naître la guerre, et c'était toujours en trouvant des systèmes pour que tous les peuples vécussent en paix. C'était, disait-on, un fort bon garçon, au fond, mais alors c'était trop au fond ! Il fallait trop creuser, et j'ai cessé de le voir sans parvenir à trouver le tuf.
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Vous savez assurément ce que c'est qu'une fête, une foire de village; mais ce qu'il y a en général de plus piquant dans ces bacchanales champêtres, ce sont les spectacles improvisés par les saltimbanques, ces cabotins ambulants qui passent leur vie à courir de foire en foire, trainant avec eux leur maison, leur théâtre, leurs décors et leur personnel.
Ce sont de véritables bohèmes, et cependant, dans cette existence nomade, règne encore un certain ordre, un arrangement qui mérite d'être remarqué.
Ces artistes de foire arrivent avec une immense voiture, longue comme un omnibus, mais qui est divisée en trois compartiments, de manière à former un appartement complet.
La première pièce est ordinairement la cuisine; elle est pourvue d'un fourneau et d'une modeste quantité de casseroles et de marmites.
Le second compartiment sert de vestiaire; c'est là que sont empilés les costumes de la troupe, les instruments de musique et tous les accessoires dont on a si souvent besoin dans une pièce à spectacle.
Enfin, le dernier compartiment est la chambre à coucher, où le lit est toujours dressé.
Lorsque la troupe est nombreuse, on couche aussi dans le vestiaire, on se fait un matelas avec la tunique de Mahomet, les jupons de la paysanne alsacienne et le riche manteau de Marguerite de Bourgogne; le casque de François Ier sert d'oreiller, et pour avoir chaud aux pieds, on les couvre avec le pourpoint du Duc de Guise.
Dans ce lit, fait de pièces et de morceaux, l'artiste nomade dort parfaitement, et beaucoup mieux que le richard couché sur la plume : c'est une compensation.
Au-dessus de la voiture sont entassés des décors et des pièces de bois qui servent à construire un théâtre.
Chaque acteur est tour à tour cocher. On n'a qu'un cheval, mais on le ménage. On ne va qu'à petites journées.
On a un chien, un fort chien de garde, qui veille, lorsqu'on fait dans la journée une halte et que tout le monde s'endort.
Le chien ne monte jamais dans la voiture, mais il va bien plus vite que le cheval; il est toujours en avant, il sert d'avant-garde et aboie quand il aperçoit une habitation.
Quelquefois la troupe a deux voitures, la seconde contient alors tout ce qui sert à élever subitement un théâtre, une salle, et des décorations qui ser- vent pour toutes les pièces : un salon et une forêt.
Mais les deux voitures annoncent alors une troupe de premier ordre, qui fait de l'argent partout où elle va, et reste parfois quinze jours dans le même endroit.
Ces troupes-là ont une musique formidable, composée de clarinettes, pistons, flûte et grosse caisse. Cinq musiciens suffisent pour être entendus de fort loin, chacun d'eux faisant du bruit comme quatre.
Tout cela est en planches, mais il faut voir avec quelle dextérité, quelle adresse, ces bohèmes élèvent une salle, qui n'a, à la vérité, qu'un parterre et un orchestre, mais peut quelquefois contenir jusqu'à cinq cents spectateurs.
Une planche indique la différence des places, les banquettes de bois ne sont pas plus douces à l'orchestre qu'au parterre, mais on paye là cinq sous et ici dix. Vous voyez bien qu'on doit se trouver mieux à dix sous.
En dehors de la salle, on dresse une estrade, puis on accroche une immense toile, sur laquelle sont brossées différentes scènes dramatiques faites pour donner le frisson aux plus braves.
C'est sur l'estrade que se place d'abord la musique et que se fait le boniment, ou, si vous aimez mieux, la parade qui sert à attirer les curieux et qui est ordinairement beaucoup plus amusante que la pièce qui se joue à l'intérieur.
Pendant que les hommes construisent leur salle, vous voyez les femmes sortir les costumes de la voiture, les étaler, les brosser, les raccommoder.
D'autres vont chercher de l'eau et se mettent à laver, à blanchir le linge de la troupe; les enfants, car il y a toujours quelques enfants qui, pour tout vêtement n'ont, suivant la saison, qu'une chemise ou bien un petit paletot, mais jamais de bas et vont sans cesse tête nue; les enfants font les commissions, ils vont chercher des litres de vin au cabaret le plus voisin.
Enfin les femmes font la cuisine, préparent le repas, dressent le couvert sur l'herbe quand il y en a, où à défaut de verdure, sur une planche qui sert de table.
Au milieu de tout cela, le chien veille, il va et vient, il grogne si un étranger va trop près de la cuisine, il aboie après ceux qui s'arrêtent devant la marmite.
Le spectacle dure quelquefois jusqu'à minuit, parce qu'on donne plusieurs représentations dans la journée et la soirée, et que les paysans veulent en avoir pour leur argent.
Alors ces saltimbanques qui, depuis midi, ont continuellement crié en dehors, joué en dedans, fait de la musique, chanté et exécuté des sauls périlleux, soupent, puis se couchent; les femmes et les enfants dans la voiture, les hommes sur le théâtre, le chien dessous.
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Ces messieurs arrivent à l'Hippodrome.
Il y avait beaucoup de monde; les curieux qui voulaient voir l'ascension, les amateurs qui se demandaient s'ils monteraient dans le prochain convoi, ou attendraient que la journée fût plus avancée.
En apercevant cet énorme ballon, qui se balançait à peine dans l'air, et la nacelle qui est dessous, le Suisse a changé de couleur; il presse le bras de son compagnon en lui disant :
- Est-ce que c'est là dedans que nous irons ?
- Assurément, le ballon est superbe !...
- Oui, mais cette corbeille qui est en dessous, ça ne m'a pas l'air bien solide...
- C'est assez solide, apparemment. Croyez-vous donc que l'on n'a pas étudié ce qu'il fallait employer pour faire la nacelle ?
- Si... Mais celle-ci m'a l'air bien léger !...
- Est-ce que vous auriez voulu qu'elle fût en moellons ?... Approchons-nous...
- Vous croyez qu'il faut nous approcher ?...
- Si nous voulons monter !... Croyez-vous que le ballon viendra nous chercher ?... Venez donc... Voilà déjà des personnes qui se placent... Vous n'avancez pas ?...
- C'est mon pantalon qui me gêne un peu pour marcher... Mais il ne peut pas tenir beaucoup de monde dans cette corbeille ?...
- Soyez tranquille, on n'y reçoit que le nombre qui peut tenir... Voyons, Papa Droguin, venez- vous ?... Est-ce que vous reculez, maintenant ?
- Moi, reculer ! Par exemple !...
Et M. Droguin, qui ne songe plus à se fâcher parce que Pigeonnier l'appelle Papa, se décide enfin à s'approcher du ballon, mais il y va comme une victime qu'on mène au supplice.
Cependant, ces messieurs payent leurs places et se dirigent vers la nacelle, dans laquelle il y a déjà sept messieurs et une dame.
- Prenez place, messieurs, nous allons bientôt partir, dit l'aéronaute qui accompagne les voyageurs.
- Je crois qu'il n'y a plus de place, dit Droguin.
- Oh ! Pardonnez-moi, monsieur, on peut y tenir quatorze...
- Allons, cher ami, levez la jambe, et en nacelle !...
Il n'y avait pas moyen de tergiverser, à moins de déclarer qu'on ne voulait plus se faire enlever. Droguin lève la jambe, manque d'écraser le pied d'un monsieur, et se trouve enfin dans la nacelle; Pigeonnier est presque aussitôt à son côté.
Le Suisse regarde autour de lui, en faisant des yeux effarés; il se cramponne au bras de son compagnon, en murmurant :
- On n'est pas solide, ici... La terre remue sous moi...
- Mais vous n'êtes plus sur la terre, puisque vous êtes dans la nacelle.
- C'est vrai... Nous avons peut-être eu tort de nous aventurer dans toutes ces ficelles...
- Comment ?! Papa Droguin, est-ce que vous avez peur ?
- Peur !... Par exemple !... Mais je réfléchis que j'ai été bien imprudent de confier ma porte à Beaulard...
Un monsieur entre encore dans la nacelle; l'aéronaute s'y place aussi, en disant :
- Allons, messieurs, asseyez-vous, nous allons partir !...
- Asseyons-nous, Papa Droguin...
- Où cela ? Je ne vois pas de place.
- Si fait, en voilà près de ce beau monsieur à favoris à côtelettes et que je parierais être un Anglais...
- Parce qu'il a des favoris en côtelettes ?...
- Non, mais parce qu'il vient de dire : "God Dem !"
- Moi aussi, je dis quelquefois "God Dem !" quand je suis en colère, et je ne suis pas Anglais pour ça !...
- Asseyez-vous donc, messieurs !
Pigeonnier fait asseoir son compagnon près de l'individu qui, en effet, est un Anglais; il se place à côté de lui, le ballon monte dans les airs !... La dame qui est dans la nacelle pousse un petit cri de joie en disant :
- Ah ! que c'est gentil de se sentir enlevée ainsi !
- Ça ne va pas assez vite, dit un jeune homme.
- Moa, dit l'Anglais, je me ferai faire des ailes, et j'irai dans les airs bien plus rapidement que ce grosse machine !
- Prenez garde, milord, beaucoup d'inventeurs ont voulu aussi se faire des ailes et ont essayé de planer dans les airs; aucun n'y a réussi, et quelques-uns y ont trouvé la mort...
- Aoh!... Je volerai autrement que les autres.
Cependant, depuis que le ballon monte, Droguin est devenu verdâtre. Il balbutie :
- Ça me fait un singulier effet... Ça me donne le mal de mer...
Pigeonnier, qui veut toujours faire le loustic, s'écrie :
- Mais regardez donc au-dessous de vous, c'est très amusant: on voit tout Paris en bas de soi !...
Les voyageurs daignent rire du calembour, mais Droguin, qui a avancé sa tête pour regarder en bas, la rentre aussitôt dans la nacelle, en murmurant :
- Ah ! Je vais me trouver mal !... Conducteur, je veux descendre, arrêtez-moi !
Tout le monde se met à rire, et la dame s'écrie :
- Ce monsieur se croit apparemment dans un omnibus !
- Mon cher Droguin, quand on est en ballon, c'est comme en chemin de fer, on ne s'arrête qu'aux stations. C'est même fort rare, en ballon, de trouver une station.
- Je vous dis, Pigeonnier, que la tête me lourne... Je vais tomber...
- Il n'y a pas de danger.
- Si... Si... Ce vide me fait mal à voir, il m'attire...
- Fermez les yeux.
- Je suis capable de me précipiter en dehors.
- Je vous retiendrai...
- Non... Alors, laissez-moi me coucher à plat ventre dans cette balançoire...
- Quelle idée ! vous allez gåter votre bel habit !...
Mais Droguin n'écoute plus rien; il se coule dans le fond de la nacelle et s'y étend sur le ventre.
- Qu'est-ce que ce mossieur il volait chercher sous nos pieds ? dit l'Anglais.
- Ne faites pas attention, milord; mon ami est un original, il veut faire des observations géologiques...
- Jolie manière d'aller en ballon ! s'écrie la dame.
- Mais il est toqué, votre ami ! dit un autre voyageur en poussant un peu Droguin avec son pied.
Le Suisse, qui a senti un pied se poser sur son dos, fait un mouvement brusque pour se reculer... Ce mouvement donne lieu à un craquement très fort, annonçant une étoffe qui se déchire.
- Ah ! Mon Dieu ! Est-ce que le ballon crève ? s'écrie la dame, qui a entendu le bruit produit par le craquement de la culotte de M. Droguin.
- Nous allons tous périr ! crie un vieux monsieur.
- Non, non, que tout le monde se rassure, dit Pigeonnier. Ce n'est pas le ballon qui a craqué, c'est le pantalon de mon ami... Il était fort géné dedans, et en se retournant... Vous comprenez... Je crains même que la déchirure ne soit considérable... Ne bougez plus, Papa Droguin, ne remuez pas !... Sans quoi vous pourriez offenser la vue des voyageurs et surtout de la dame qui est avec nous dans la nacelle... Avec cela que vous avez un habit si écourtė !... Enfin, je vais veiller sur les pans et faire en sorte qu'ils ne s'écartent pas.
M. Droguin ne répond que par un grognement sourd, et l'Anglais s'écrie :
- C'est la première fois que je vois aller en ballon de cette manière... C'est peut-être fort agréable... J'ai envie de m'étendre aussi sur le ventre à côté du grosse mossieur !
- De grâce, milord, ne faites pas cela ! dit la dame, nous ne saurions plus où mettre nos pieds.
- Pigeonnier !... Pigeonnier ! murmure le Suisse sans relever la tête. Est-ce que nous allons jusqu'au soleil ?
- Non, je ne pense pas que nous allions jusque-là... Je crois même que nous ne montons plus... Ô le beau coup d'œil, cher ami, le beau coup d'œil !... Si vous saviez ce que vous perdez, vous quitteriez bien vite votre position horizontale !...
- Ah ! S'il pouvait passer un oiseau, dit l'Anglais; j'ai apporté un revolver, je le tirerais au vol.
- Tirer des coups de feu en ballon, cela me semble bien imprudent, réplique un voyageur, la balle peut se diriger de travers, vous pourriez tuer le ballon et nous avec !...
- Je veux descendre !... Je veux descendre ! crie Droguin d'une voix altérée par la frayeur.
- Soyez satisfait, répond Pigeonnier, il paraît que nous avons fait notre demi-heure, car nous descendons. Ah ! Comme le temps passe vite en l'air !
- Saperlotte ! Il m'a semblé bien long à moi !
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Lorsque les femmes se mêlent d'être méchantes, elles le sont dix fois plus que les hommes, parce qu'elles y mettent un raffinement dont ils ne sont pas capables.
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On veut aller en Italie où il fait trop chaud, où la plupart des auberges sont mauvaises, où l'on vit mal, où l'on est encore attaqué par des bandits...mais il est de bon ton d'aller en Italie !

On veut aller en Suisse où l'on gèle, où l'on perd la respiration à gravir des montagnes, où l'on marche au bord de précipices dont la vue seule vous donne le vertige, où l'on boit beaucoup sans jamais être gai, où l'on se couche comme les poules, où la cuisine n'approche pas encore de la cuisine française....
Mais il est de bon ton d'aller en Suisse ....

On va en Angleterre où règne un brouillard continuel auquel se mêle une vapeur de charbon de terre qui fait mal aux yeux, où le dimanche il est expressément défendu de se livrer au moindre amusement, où un schelling ne veut guère plus qu'un sou, où la cuisine est encore plus mauvaise qu'en Suisse ou en Italie !
Mais il est indispensable d'aller en Angleterre.

Et l'on se moque de moi parce que j'ai toujours préféré Montfermeil, Ville-d'Avray, Meudon, Montmorency, Enghien, Saint-Cloud, Champrosay, Saint-Germain, Vincennes, L'Isle-Adam et même ce pauvre petit Romainville à l'Angleterre ! à la Suisse ! à l'Italie !
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Il fallait prendre un parti : Clémentine se détermina à tenter le seul moyen qui lui restait pour goûter, non le bonheur, elle y avait renoncé depuis la mort de celui qu’elle adorait, mais au moins la tranquillité et le repos dont elle était privée depuis longtemps.
Le caractère du colonel Framberg, que Clémentine avait su apprécier, lui avait inspiré l’idée de lui avouer sa faute, et de se confier à sa générosité. Un jour, peu de temps avant le terme fixé pour leur mariage, Clémentine pria le colonel Framberg de lui accorder un moment d’entretien ; le colonel y consentit volontiers. Ils se rendirent dans un endroit écarté du parc, et là, Clémentine lui confia son amour et ses malheurs.
Le colonel demeura frappé d’étonnement lorsque Clémentine lui apprit qu’elle serait bientôt mère.
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