J`ai essayé de respecter au mieux la réalité historique de ce fait divers, mais la véritable histoire de Narcisse Pelletier, jeune mousse abandonné en 1858, après le naufrage de son navire, qui vivra 17 années chez les « sauvages » du nord australien, est parsemée de trous et de zones d`ombres, des lacunes qui m`ont permis de développer mes propres idées. En fait, mon intention première était de rendre hommage à cet homme au destin hors du commun dont la vie est suffisamment incroyable, sans qu`il soit nécessaire d`en rajouter. Dans ce premier tome, Il m`a semblé essentiel, de replacer cette histoire dans son temps, à une époque ou l`idée de l`autre, surtout lorsqu`il est noir et océanien, renvoie systématiquement au « sauvage cannibale », Darwin n`était pas encore passé par là… Concernant le deuxième tome, mon intention est d`évoquer les oubliés de cette histoire : le peuple aborigène qui l`a accueilli, soigné et adopté pendant de longues années. J`ai eu le souci de respecter la mémoire de ce peuple qui a subi les humiliations et la brutalité de la colonisation anglaise, je me suis efforcé, à mon modeste niveau, de leur rendre hommage. Afin d`éviter les erreurs et les stéréotypes, j`ai pris conseil auprès de Stéphanie Anderson, ethnologue australienne, spécialiste de Narcisse Pelletier et de ses hôtes aborigènes.
La source principale, c`est son témoignage qui a été publié de son vivant et que l`on peut retrouver encore aujourd`hui ainsi que quelques articles de presse. Sur les aborigènes, je n`ai cependant que très peu d`éléments. Le texte de Narcisse est absolument fascinant car l`évocation de ces 17 années est la première description de la société aborigène vue de l`intérieur de l`histoire. Hélas, au-delà de la valeur ethnographique de ce texte, Narcisse ne dit que très peu de choses sur lui-même et sur sa vie personnelle auprès de ce peuple.
Il y a certains détails dans des articles de presse, dans des rapports officiels australiens après la découverte du « sauvage blanc ». Il aurait ainsi évoqué auprès d`amis l`existence d`une vie familiale, de femmes, d`enfants… mais rien n`est prouvé, cela reste un vrai mystère. Dans le tome 2, je proposerai ma version qui n`a pas, par la force des choses, de volonté biographique. Je me suis mis dans sa peau et j`espère ne pas être trop éloigné de ce qu`il a vécu.
J`ai assez vite compris que c`était un personnage plus complexe qu`il n`y paraissait et qui, en outre, pouvait faire écho à toutes mes préoccupations littéraires. J`ai le sentiment que c`était en effet un jeune homme assez complexe, qui a peut-être trouvé des réponses existentielles auprès des aborigènes. le fait qu`il s`engage comme mousse, pour un voyage au long cours, une aventure maritime de 2 ans, sachant qu`il devrait quitter ses proches (tous des terriens !) ne me semble pas naturel. Il y a quelque chose, une motivation qui m`intrigue.
De sa vie d`aborigène, il n`a pratiquement rien raconté alors qu`il s`est construit en tant qu`homme auprès de ce peuple. Pour moi, la part la plus mystérieuse, la plus fascinante de sa vie concerne son retour à la « civilisation ». On ne sait pas s`il est vraiment revenu, on ignore ce qu`il a laissé là-bas, ou s`il a réussi à se reconstruire. C`est cet aspect de sa vie qui m`a profondément séduit.
Ce n`était pas un héros et c`est je pense la raison pour laquelle son histoire n`a jamais été exploitée en son temps comme une sorte de Robinson Crusoé. Ce dernier incarne le héros civilisé qui apporte la civilisation chez les sauvages alors que Narcisse, représente le contraire. C`est un homme qui est « civilisé » et qui a reçu une bonne éducation française mais au lieu d`apporter la civilisation à ce peuple aborigène, c`est ce peuple qui va lui apporter une culture. Une culture qu`il va entièrement épouser.
Il est parfois difficile de proposer aux lecteurs une histoire développée en plusieurs volumes mais pour moi, l`histoire de Narcisse était trop complexe pour la résumer en un seul volume. Aborder un tel sujet nécessite un travail de recherche documentaire et archivistique très long et je savais qu`une telle démarche pouvait m`apporter des éléments nouveaux, des surprises. Je m`en rends compte aujourd`hui encore alors que le tome 2 n`est pas encore sorti, je continue à avoir de nouvelles informations qui nourrissent le récit. Mais plus simplement, les trois tomes étaient nécessaires parce qu`ils correspondent aux trois étapes essentielles de sa vie.
La part de fantastique que j`introduis dans le premier tome fait quelque part écho à la culture aborigène… l`omniprésence de l`esprit des ancêtres. Dans le deuxième tome, il sera question de leur approche de la spiritualité. C`est une culture passionnante, que j`ai découvert grâce à Narcisse et qui est étonnement riche, profondément respectueuse de son environnement. Ils n`étaient certainement pas ces « tout juste humains » sans aucun sens politique et notion de propriété, que décrivaient les anglais du XIXème siècle afin de mieux les déposséder violemment de leurs terres.
Je n`ai pas encore achevé l`écriture du troisième tome même si je sais quelle est la direction que je vais prendre pour ce dernier opus. Ceci étant dit, comme il s`agit d`une histoire vraie et que cela suppose de ma part un véritable travail d`enquête que je poursuis aujourd`hui, certaines choses peuvent encore (et je l`espère !) remonter à la surface et modifier mes intentions à ce sujet.
Si le premier tome était très masculin, je peux d`ores et déjà vous dire qu`une femme sera très présente dans le second tome. Peut-être celle qu`il a dû abandonner là-bas ? Hypothèse en tout cas presque évidente pour moi !
Du point de vue des dessins, on peut s`attendre à des planches moins maritimes, les grands voiliers seront plus rares, même si la mer reste omniprésente car ce peuple vivait de la mer.
Fin septembre si tout va bien !
La bd et la littérature sont deux choses qui sont intimement liées pour moi. En bandes dessinées ce sont certainement des auteurs comme Gipi -à la fois pour sa manière d`aborder la narration et pour son graphisme magnifique- ou Lorenzo Mattotti. Ce sont des auteurs vers lesquels je reviens sans cesse non pas qu`ils m`influencent dans mon travail mais voir et revoir leurs albums me motive, me donne envie de prendre mon crayon. J`aime aussi beaucoup Jorge González que j`ai découvert plus récemment, qui est l`auteur de Chère Patagonie. Ils ne sont pas, aux yeux du grand public, d`un abord très facile, mais ce sont des auteurs aux démarches très personnelles, talentueux et inventifs, qui tirent la bande dessinée vers le haut.
En littérature, j`ai une grande admiration pour Joseph Conrad. Il a pour moi la qualité, au-delà de ses grands récits d`aventure maritimes de parler la nature humaine, de plus c`était un marin, son écriture respire le vécu. C`est réellement quelqu`un qui m`inspire.
Pour moi, le talent des autres n`est pas un frein, bien au contraire, il me permet d`avoir plus de recul sur mon propre travail (peut-être aussi de le relativiser) mais surtout, cela me motive, me pousse à évoluer et pourquoi pas me surpasser.
C`est Robinson Crusoé, de Daniel Defoë. Je devais être en sixième. Je pense l`avoir relu trois ou quatre fois depuis. Ma relecture la plus récente m`a amenée à avoir un regard plus critique, plus distanciée avec le roman.
Je pense que c`est le magnifique Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.
Les nouvelles de Joseph Conrad ne sont pas très connues alors qu`elles sont d`une très grande puissance. Plus puissantes encore que ses romans. De même je préfère également les nouvelles de R.L. Stevenson à ses romans, j`aimerais beaucoup adapter l`une d`elle en BD. Affaire à suivre !
Je n`ai pas encore réussi à entrer dans La Recherche de Marcel Proust. Mais je ne désespère pas.
Je suis en ce moment en train de découvrir avec beaucoup de plaisir, Virginia Woolf au travers de Mrs Dalloway que ma fille m`a conseillé de lire.
Marieke Aucante : En écartant les....