boire de l’eau
boire de l’eau et t’appeler comme ça
comme jamais
j’essaye de regarder dans le vide et tu es toujours là
boire de l’eau parce qu’il le faut bien
ici
te remplacer par autre chose qui coule
pour que tout continue à couler autour de moi
quand tu essayes de garder ma place
quelque part
tu réussis toujours
tu gagnes du terrain
même sur le mal à venir qui pourrait s’accrocher et
[m’éjecter du monde
ce mal – ces courants d’air d’hommes
chacun dans leur couloir
dans la poussière d’un jour nouveau
ces hommes
Encore l'été et toi. Tu joues en maillot de bain. Tu n'es pas dans le jardin mais ailleurs.
Au bord d'une étendue d'eau. Ça ressemble à un lac.
Pourquoi pas la mer.
Tu es assise sur un gros rocher. Et à côté de toi, un petit garçon. Pourquoi pas un frère.
Un frère de jeu. Le temps d'une marée s'il y a. Un frère de fille unique.
Vous vous parlez. Mais il n'y a plus de son. Plus d'histoire. Juste du passé.
Rien d'autre qu'un arrêt sur image. Vous deux figés sur ce rocher d'éternité.
Sur une photo. Que tu tiens. Qui te tient.
Tu sais déjà que tu chercheras longtemps.
Par quel miracle, cet enfant, cet été - dont tu ne te souviens déjà plus -
font-ils partie de toi maintenant ?
Tu es bien occupée dans ton coin à froncer le cœur.
Tu plonges tes doigts dans l'encre du monde et tu dessines des points d'interrogation. Partout dans l'air. Assise comme un nœud de lacet se laisse traîner dans l'herbe.
Tu parles avec le temps qui t'ennuie. Celui qui s'arrête chez toi parfois lorsque ton tambour à envies est crevé. Lorsque tes idées à jouer s'abîment, à peine ont-elles germé.
LA PLUIE SAUVE
À l'oreille la pluie sauve
Lorsque le soleil n'est que silence
Les murs de pierres sèches
Boivent aux regards aveugles et gais
En habitant cet endroit
Qui sait
Sous ses coups de fouet de lumière
Dans cette musique sans cesse mouillée
Je suis déjà immortelle
Derrière la fenêtre à présent
On ne distingue plus
De l'averse ou de moi
Laquelle des deux croque une pomme
Et une main m'a poussée
Et le jardin m'a prise
Comme chamane aux pieds nus
Moi qui ne tient plus debout
Il m'a attirée dans ses ailleurs en terre
Il a bu à la saignée de mon cri mourant
Et le ciel s'est percé du sourire d'une gloire
Il a gommé de sur ma peau
Le travail des jours sans désir
Je n'avais hélas pour lui jamais assez d'épines
Dont j'aimais les caresses
Et lui tirer notre lit
Qui sait
Sous ses dehors éternels
Ce qu'il attend encore de moi folle
Lorsqu'il me rend à l'automne
Moi je ne m'habitue pas
Il est des âmes comme ces gouttes d'eau
Qui cognent sur les vitres et rincent les poitrines
Elles marquent mes joues et mes yeux et ma vue
Au fer rouge d'une errance sous le manteau d'une vie repue
Le jardin seul me connaît tête nue
Et attend de la pluie qu'elle me coiffe d'une transe
Dans l'inconnu des autres
Ce feu que je piétine et tue
Moi je n'aurai plus jamais froid dans une poignée de terre
Dieu sous la cendre
Qui sait
Pour combien d'âmes
Je dois vivre encore
Et seulement vivre
toi tu coules avec le temps avec moi dedans - qui infuse
regarde je fais frémir l’eau
je fais comme toi
et puis j’irai fermer les volets du jour
je vais aller jusqu’à la fenêtre - regarde
j’ai deux mots à dire au soleil
ce n’est pas lui qui a mis le thé dans ma valise
c’est toi
LA BALANÇOIRE
Tu y files comme à un rendez-vous avec Dieu. Idéalement, il te faut : des framboisiers, le soleil, l’herbe sèche et une glace à l’eau. Et, un petit cahier quadrillé qui reste à terre, avec dedans, soigneusement recopié, un monde d’animaux. Assise, debout. Tu souris, le ventre au bord du vide. Et tu plies les genoux et tu tends les genoux. Et tu plies et tu tends. Loin devant, loin derrière. Tu appelles. Tu attends. Arrive enfin l’élan qui te plante dans le dos les deux ailes qu’il te faut. Te voilà cousue à deux lianes tombées du ciel. Élevée. Entre les mains de Celui qui te fait jouer. À quoi tu pries maintenant sur ta balançoire ? Dans l’air, si heureuse à voir ? Tes cheveux et tes rires en liberté. Hissée dans ton refuge, tu ne vois plus que les vents. D’ailleurs, en bas n’existe plus. Tu as beau te pencher, on ne t’attrapera plus. Le sol se froisse à toute vitesse. S’efface. Comme un trait de crayon tracé à la hâte sous tes fesses. L’enfance belle. Comme une envolée de courbes part colorier le ciel. Tu ne fais plus qu’un avec l’été. De balances en balances, tu poses des silences. Sur les gens de passage, sur ta vie entière. Sans réponse à ton âge, tu préfères le vertige. De l’instant. De tes six ans tourbillonnant et de ton cœur qui freine des quatre fers. Au moment de tomber. Tu sautes et tu saignes volontaire. Tu choisis ta chute. C’est ton retour sur terre. Même pas mal. Tu ris, des larmes de jeu sur les joues. Toujours. Tu as du rouge aux genoux comme un hymne à la vie. Et du mercurochrome plein tes prières. Jamais tu n’as su t’agenouiller autrement.
TU TROUSSES LA ROBE…
Tu trousses la robe
que tu ne passeras pas
ta première peau avec.
Tu éclates ta bouche
jusqu’au dernier cri
jusqu’au premier silence
majuscule du premier mot du livre.
Tu maudis tout de moi
en l’air surtout.
Tu jettes tous tes jours dans les yeux du chien
étranger au beau.
Tu mâches ta langue toutes dents dehors
dans la gueule du bruit.
Tu te risques à éteindre la lune rousse
de ton visage
collé à la vitre
d’une seule vie.