Dans les jardins de mon père .
Extrait du film Dans les jardins de mon père réalisé par Valérie Minetto, écrit par Cécile Vargaftig. http://www.audiable.com/livre/?GCOI=84626100808030
Le bonheur de tous au détriment de chacun.
(définition du communisme par André Gide)
Nous sommes le 4 novembre 2008. Sur la
page d’accueil Internet du site de Radio France,
que je consulte pour choisir quel programme
écouter pendant que j’écris, je lis : Éphéméride :
il y a 170 ans, Stendhal commence à écrire son
roman La Chartreuse de Parme qui sera achevé
le 26 décembre 1838 et paraîtra en mars 1839.
Il n’y a pas à chier, tout se sait. La société de
contrôle a envahi l’espace-temps. Il est vraiment
temps de raconter cette histoire. En route ! On
verra bien où j’en serai le 26 décembre.
L'autodistraction consiste à ingurgiter des images (j'appelle image toute production de l'imaginaire, qu'elle soit sonore, visuelle ou mentale, ou sur tout autre support non connu à ce jour), sécrétées par soi-même ou une image de soi-même. Ça va de graver en DVD ses films de vacances à manger ses crottes de nez. À l'étage au-dessus, vous trouvez les émissions de télévision dans lesquelles s'expriment des soi-disant témoins. Quand vous les écoutez, vous ne pensez pas à eux, mais à vous.
À l'étage encore au-dessus, je place les commémorations en tout genre. Oh, qu'est-ce qu'on a été extraordinaires, qu'est-ce qu'on a été historiques, qu'est-ce qu'on se souvient bien, vive notre belle et bonne conscience morale, vive l'année de la Chine, de l'Algérie, de la femme, de l'ours blanc et des handicapés moteurs. On place l'altérité comme un objet d'étude et de respect, et ça y est, le regard s'inverse, ce n'est plus vous que je regarde mais moi-même, comme mon regard est humain, et comme leur nuque est digne. Question ouverture sur l'extérieur, c'est parfait. Imaginez que dans votre chambre il y ait une fenêtre qui donne sur votre chambre dans la quelle il y a une fenêtre qui donne sur votre chambre dans laquelle et cetera. L'autodistraction est une distraction autophage qui vous vide au lieu de vous remplir, ou qui vous remplit de vide, si vous préférez.
La reprodistraction est tout aussi jouissive pour qui ne sait pas quoi faire de son temps. Elle consiste à ingurgiter des images qu'on a déjà goûtées, sous d'autres formes ou non. La reprodistraction excite notre inconsolable nostalgie et notre irrépressible peur de l'inconnu.
Chanteurs morts, compilations, exhumations, fonds de tiroirs, reprises, remix, remakes, clones, imitations, tocs, posters, vous m'avez comprise. Rangeons dans cette catégorie ce qu'au vingtième siècle on appelait l'académisme et qu'aujourd'hui on nomme le formatage. Ça fait du monde. Déjà vu déjà connu, un air de famille, terrain balisé, voyage organisé, petit plaisir mais grande sécurité. La reprodistraction vide le plein. L'autodistraction remplit de vide.
La littérature me semble justement l'occasion de sortir de la flèche du temps, d'y voyager à sa guise, et de faire s'entrechoquer les époques : de transformer le temps en espace.
Chacun place son courage où il peut. Aucune vie ne peut juger aucune autre vie. Aucun temps ne peut juger aucun autre temps.
Le voyage en URSS, c'est un classique de l'époque. Beaucoup d'Occidentaux l'ont fait, le font, le feront, un peu comme les pèlerinages religieux, ou le voyage en Inde des années soixante-dix. On y va, on en revient, la plupart du temps après avoir reçu la Révélation qu'un autre monde est possible.
Son égocentrisme lui sert de thermomètre, son amour de la jeunesse de boussole, et sans doute son homosexualité assumée l'aide-t-elle à percevoir de manière aiguë comment sont traités les individus en URSS, minoritaires au regard des masses, comme on disait à l'époque.
(...) je le regardais fixement tandis qu'il pérorait, choisissant ses mots, les détachant comme des couteux qui tous rataient leur but, et allaient se ficher loin derrière moi dans ce désert des arguments inutiles. (En URSS, 1936, Pierre Herbart)
Les enfants sont ingrats, dit-on, mais sans doute ne font-ils que répondre aux ambiguïtés de leurs parents.