Catherine R. Puglisi

Deux autoportraits de Caravage marquent le début et la fin de sa carrière artistique. Son Autoportrait en Bacchus révèle son apparence physique à l'âge de vingt-deux ans, peu après son installation à Rome.
David avec la tête de Goliath nous montre I'artiste âgé d'environ trente-neuf ans. De styles disparates, les deux tableaux nous déconcertent pour diverses raisons.
Dans le premier, le peintre livre un portrait d'après nature où Il se représente la tête tournée vers la droite, l'épaule dénudée et coiffé d'une couronne de lierre ; deux pêches et une grappe de raisin sont par ailleurs posées sur une table. Bien que les attributs du dieu païen du vin et de l'inspiration divine s'accordent mal et que la pâleur du teint du sujet évoque celui d'un malade, cette représentation classique et allégorique s'appuie sur les éléments traditionnels de la création artistique.
Dans le second tableau, en revanche, I'artiste se figure comme I'un des protagonistes d'un épisode biblique, mais, contrairement à la convention, il apparaît sous les traits, non pas du héros, mais du «méchant», allant jusqu'à prêter son propre visage à la tête tranchée et sanguinolente de Goliath, effrayante avec son regard fixe, sa bouche ouverte et son front maculé de sang. Seize années au plus séparent les deux autoportraits mais, dans ce laps de temps, le peintre a forgé un art extraordinaire en rupture avec le passé. Une sulfureuse réputation le disputait toutefois à la gloire, car l'identification du peintre avec le géant terrassé n'est pas sans évoquer la menace de condamnation à mort qui le hanta durant les quatre dernières années de sa vie passées en exil.

(INCIPIT)