Dans son nouvel album "Oncle Bernard cherche son chien", Yukiko Noritake dépeint un Paris gourmand et surréaliste, où l'on parcourt la ville de page en page, métamorphosée sous les pinceaux malicieux de l'autrice
Gourmandise assurée dans cette déclaration d'amour à Paris
et à la pâtisserie !
Actes Sud junior, mars 2022.
Le capitalisme s'adresse à des enfants dont l'insatiabilité, le désir de consommer sans trêve vont de pair avec la négation de la mort. C'est pourquoi il est morbide. Le désir fou d'argent, qui n'est qu'un désir d'allonger le temps, est enfantin et nuisible. Il nous fait oublier le vrai désir, le seul désir adorable, le désir d'amour.
Et si l'inutilité, la gratuité, le don, l'insouciance, le plaisir, la recherche désintéressée, la poésie, la création hasardeuse engendraient de la valeur ? Et si les marchands dépendaient - ô combien ! - des poètes ? Et si la fourmi n'était rien sans la cigale ? Voici venu le temps d'affirmer, contre les économistes, que l'inutile crée de l'utilité, que la gratuité crée de la richesse, que l'intérêt ne peut exister sans le désintéressement.
Les bobos sont joyeux. Ils ont pu se constituer un patrimoine en virant les pauvres et en transformant d'anciens ateliers en loft. Ça s'appelle la « gentrification ». Les bobos sont de haute qualification, volontiers voyageurs, volontiers « couples mixtes », écolos ; ils mangent bio et aiment les animaux ; ils participent de l'internationale bobo ; qui habitent les centres-villes partout dans le monde (sauf à Marseille, encore populaire, mais pas pour longtemps). Ils roulent autant que faire se peut à vélo. Sinon, ils prennent de zélés TGV pour traverser rapidement les précédentes zones périurbaines sur lesquelles ils ferment pudiquement les yeux. Ils ne sont pas racistes. Ils font de gros efforts pour que leur nounou mauricienne obtienne la nationalité française. Ils votent évidemment à gauche (la preuve, Paris). Ils sont tolérants et communautaristes (même s'ils ne répugnent pas au double digicode, comme l'explique Alain Finkielkraut ; « les bobos typiques célèbrent le métissage et vivent dans des forteresses »). Ils sont la « mondialisation heureuse ». « L'immigré est mondialisé par le bas, le bobo par le haut. » Le bobo est plus altermondialiste que mondialiste (quoique...). Il est pour le mariage homo, les fringues vintages, l'éducation des enfants à l'étranger, les associations de riverains, les débats politiques, la culture (il protège les intermittents, souvent bobos eux-mêmes, travaillant dans la com', la prod' ou le journalisme), il est pour la libre entreprise, mais aussi le service public. L’État-providence ne lui fait pas peur, il aime le durable, le recyclable, les droits de l'homme, etc., en bref, c'est l'anti-beauf, l'anti-pavillonnaire et l'anti-versaillais. Il ne va pas à la messe, et la « Manif pour tous » le fait rigoler. Il est haï de la droite.
Charlie massacré.
Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo est attaquée par deux terroristes se revendiquant d’Al-Qaïda afin de venger la publication des caricatures de Mahomet, neuf ans plus tôt. On dénombre ce jour-là douze personnes tuées, dont dix dans les locaux du journal, et quatre gravement blessées.
Le 8 janvier, une policière municipale est tuée et le 9, un magasin casher est attaqué par un autre terroriste, faisant quatre victimes de confession juive. En trois jours, dix-sept personnes perdent la vie, victimes de terroristes islamistes. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des femmes et des hommes sont massacrés en France par une idéologie totalitaire, à cause de leur conviction et de leur usage de la liberté d’expression.
(page 290)
Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours. Si l’adage est flatteur pour les dessinateurs, reste encore à en démontrer la pertinence. Dès sa création, Charlie Hebdo a pris le parti de donner au dessin une place aussi importante qu’à l’écrit. Avec pour objectif de diffuser des caricatures qu’ailleurs on n’oserait pas publier, prenant le contrepied des clichés souvent reproduits par le dessin de presse traditionnel.
(page 172)
Il n’y a pas de mauvaise censure ni de bonne censure. Il n’y a que la censure, avec un C majuscule, arrogante, bornée, jamais rassasiée.
On croit s’en être débarrassé, mais elle continue de surveiller le cinéma, la littérature ou la musique, remise en selle par de nouvelles générations de censeurs aussi moralisateurs que ceux qui les avaient précédés, espérant peut-être la rendre éternelle.
(page 24)
Charlie et la grande presse.
Pourquoi créer un hebdomadaire comme Charlie Hebdo quand on a la chance de disposer d’autant de journaux de qualité comme Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Parisien, Le Nouvel Obs ou Paris-Match ?
La grande presse, la presse sérieuse, pilier de la liberté d’expression, Charlie Hebdo n’a jamais cessé de la lire, de l’observer et parfois de la moquer.
(page 60)
L'économiste est celui qui est toujours capable d'expliquer ex post pourquoi il s'est, une fois de plus, trompé.
Prologue
Entassés dans des cellules payables en dix, quinze ou vingt ans avec une amende mensuelle pour délit de pauvreté sous forme d'intérêts, les condamnés à la consommation perpétuelle seront autorisés à une promenade quotidienne devant la télévision.
Charlie et le droit au blasphème.
Traditionnellement athée et anticlérical, Charlie Hebdo a toujours critiqué les dogmes religieux et la place parfois envahissante des religions dans la société. Malgré les menaces et les poursuites judiciaires, Charlie Hebdo n’a jamais cessé d’affirmer ses convictions à l’égard de toutes les religions, y compris de l’islam et plus encore de l’islamisme. Le procès intenté au journal en 2006 pour avoir publié les caricatures danoises de Mahomet allait décider si le droit à la caricature pouvait s’appliquer à toutes les religions.
(page 234)