Un port pris dans la glace. Quelques bateaux figés pleurent des larmes de rouille. Sur l'immensité blanche qui était un fleuve, des pêcheurs tracent de larges sillons avec leurs luges, ponctuant de trous le grand tapis glacé.
La neige a presque entièrement disparu. L'herbe jaunie reprend son souffle.
La nature se réveille d'un long sommeil hivernal, où, calfeutrée sous un douillet manteau de neige, elle préparait en rêvant le retour du printemps.
Les passions commencent souvent par une image. Celle de Bernard Buigues n'échappe pas à la règle : je suis presque certain qu'à l'âge de dix ans il se laissa capturer par les illustrations reconstituant des scènes préhistoriques. J'imagine facilement son regard bleu plongeant et planant à l'infini au travers des cavernes et des steppes dans lesquelles s'activaient une bande de chasseurs hirsutes et vêtus de peaux de bêtes.
Une quarantaine d'années plus tard, poursuivi par la fascination encore intacte exercée par ces images, il met lui-même en oeuvre ce qui n'est rien d'autre qu'une idée fixe de môme : extraire un mammouth endormi dans le secret de la terre gelée. Gildas Flahault
Plus loin, sous une couche de terre bien noire, je découvre d'abord un poil dru, épais, roux, flamboyant, puis... après une demi-journée de dur labeur, sans voir le temps passer, une toison laineuse très fine, dans une gamme de couleurs qui va du blond cendré au brun foncé. Je glisse délicatement mes doigts entre les fibres pour les écarter : c'est doux comme de la laine de mouton.
Très vite, une odeur âcre et forte envahit l'espace confiné dans lequel je travaille et me prend à la gorge. J'ai du mal à la définir. Ce n'est pas une odeur de putréfaction, c'est... Soudain, je me revois, enfant, visitant le zoo de Vincennes. C'est ça ! Cette odeur me rappelle l'odeur de la litière des éléphants ou des fauves, mélange de transpiration, d'urine, d'herbe fermentée.
Les ombres s'étirent sur le petit port de Centuri. Trois vieux marins s'affairent à remettre un bateau en état. Couché sur le flanc, il semble scruter d'un oeil endormi l'eau qui vient caresser sa cale.
"C'est pour bientôt..." semble-t-il dire. Patient, il sait par expérience que son heure viendra.
Je commande une bière, quand le portable se met à sonner :
- Allô?
- Bonjour! Bernard Buigues à l'appareil.
J'attends son coup de fil depuis quelques jours déjà.
- Alors, ce voyage?
- Eh bien, si tu es toujours intéressé, il y a un départ pour la Sibérie dans deux semaines...