Béatrice Castaner - Aÿmati
Béatrice Castaner vous présente son ouvrage "Aÿmati" aux éditions Serge Safran. Rentrée Littéraire 2014.
Seule. Aÿmati marche. Traverse la saison des glaces et du froid. Et obstinément, murmure.
Humains, pour survivre nous devions éliminer le passé. Eliminer le Passé. Et tuer tout ce qui pouvait nous ramener vers des origines, extérieures à nous. Puisque nous étions les seuls créateurs de ce monde, et les seuls fous.
Ta soeur doit apprendre que l’amour n’est pas un gâteau, il ne se découpe pas, l’amour est une corne d’abondance, plus elle verse, plus galopante est la source.
Je ne sais pas combien de temps dure un silence. C'est la question qui s'incruste quotidiennement en moi depuis ce jour-là. Combien de secondes, combien de minutes, combien d'heures, combien de jours, combien d'années, combien de vies pour rompre un silence ? Quand vient-il ce temps où la parole s'arme de courage et puise dans l'encrier du vivant pour reprendre ses droits ancestraux au dialogue ?
Retrouver l'âge d'or de nos origines, lorsque l'être humain naissait, vivait, mourrait par la seule grâce de la nature, et qu'il était impensable qu'en tant qu' "animal humain" nous torturions volontairement l'un de nos congénères, juste pour jouir de sa souffrance et de sa mort.
Humains, pour survivre nous devions éliminer le passé. (…) Puisque nous étions les seuls créateurs de ce monde, et les seuls fous.
Présent et passé mêlés, emmêlés ; un big bang à l'envers ; le temps se contracte en un écheveau de doutes si dense qu'il va nous falloir des années pour nous détacher de nous-mêmes aujourd'hui. Avec, comme fil d'Ariane, cette seule statuette en ivoire portée par une femme néandertalienne il y a 30 000 ans environ.
Comment ne pas s'égarer lorsque leurs popres mains occultent leurs yeux ferment leurs oreilles et murent leur bouche. Comment ne pas s'égarer lorsque chacun d'eux pense qu'il restera le dernier en vie? Et qu'il sera le vainqueur. Seul.
Une femme apparaît dans mes rêves.
Une femme néandertalienne. Je la reconnais comme telle avec son front fuyant, son bourrelet sus-orbitaire et un prognathisme prononcé. Je la devine extrêmement maigre sous ses assemblages de peau animale.il neige et elle avance vers moi. Je détaille ses bras, ses pieds et ses mains enveloppés… dans des fourreaux de cuir. Je me dis que cela est impossible.
Un geste de Maÿtio.
Silence.
Elle enflamme une torche puis entre la première suivie par tout son peuple.
Ils entrent. Ils entrent.
Les apprentis ferment la marche.
Tuèn reste à l'extérieur, en guetteur, vigie protectrice de la Tribu.
Même pour les plus âgés qui, depuis leur enfance,font chaque été ce voyage à l'intérieur de la terre, c'est toujours le même vertige dès le seuil franchi, un effondrement à l'orée du corps.Les yeux ne peuvent reconstituer l'espace au-delà de la faible clarté des flammes, nul chant d'oiseau ni hennissement lointain ne frappe les oreilles, aucun pollen en suspension ne vient chatouiller les narines saturées par l'humidité de la terre profonde. Le temps est absorbé, ni jour ni nuit ni pluie ni chaleur. Un espace éternel, sans vie sans mort, immobile. C'est ainsi qu'ils marchent silencieusement.