La création des jardins suppose donc préalablement chez l'homme l'éclosion du sens esthétique, l'intelligence des beautés et, si l'on peut ainsi dire , des bontés ou des utilités de la nature, et le désir des jouissances que procurent la contemplation et la possession de ses merveilles. Elle suppose en outre une demeure fixe, de la sécurité, de l'aisance, des loisirs : autant d'avantages qui ne peuvent se trouver que dans un état social déjà perfectionné ; elle suppose enfin des connaissances de quelque étendue en botanique, des rudiments de l'art du dessin et de l'architecture.
Parmi tous ces arts, quelle est la place de l'art des jardins? Il n'en a aucune. — C'est, à coup sûr, direz-vous, un art de luxe. — Mon Dieu! comme tous les arts. — Qu'est-ce que l'art? une superfétation, disait un esthéticien de brasserie. — Il avait raison. L'art est le luxe de l'intelligence et du génie, et tout objet d'art est un objet de luxe, — à moins cependant qu'il ne soit en même temps un objet utile, ou même nécessaire. Qu'est-ce, en effet, qu'un objet de luxe? encore une chose qui échappe à peu près à toute définition. D'autre part, si tout objet d'art est un objet de luxe, il y a beaucoup d'objets de luxe qui ne peuvent guère passer pour des objets d'art.
Il est si vrai que les jardins symbolisent pour l'homme le beau et le bon dans leur plus haute expression et dans leur alliance la plus intime, que lorsque les voyants, les prophètes, les poètes, les instituteurs des peuples ont voulu donner une idée du séjour de la félicité suprême, ils n'ont jamais imaginé autre chose qu'un jardin paré de toutes les merveilles de la nature et embelli par les chefs-d'oeuvre de l'art. Toutes les mythologies antiques donnent pour demeure d'outre-tombe aux héros, aux sages, aux justes, des jardins.
Et d'abord, si nous recherchons le principe, la cause génératrice de l'art des jardins, nous apercevons sans peine qu'il procède à la fois de deux sentiments, de deux besoins auxquels se rattachent également les plus importantes créations de l'esprit humain : ce sont : la notion et l'amour du beau (qui ne sont qu'une seule et même chose, puisqu'on ne saurait aimer le beau sans le connaître, ni le connaître sans l'aimer), et le sentiment ou le besoin du bien-être (c'est tout un encore).