Il est encore une constante que négligent parfois les historiens de cette période. Une fraction importante de la jeunesse issue de l’aristocratie et de la bourgeoisie aisée rompait avec son milieu pour épouser la cause de la révolution. Ces jeunes gens aspiraient à donner un sens à leur vie, à faire régner la justice dans leur société. Bien des communistes célèbres étaient des enfants d’universitaires, de généraux, voire de grands aristocrates. Il ne se passait rien de comparable dans les familles juives qui avaient accédé à un statut social enviable – professeurs, médecins, ingénieurs, avocats, financiers…
L’URSS était en principe une république fédérative respectueuse de chacune des républiques nationales qui la composaient ! En outre, Staline avait été le premier commissaire du peuple aux Nationalités, ce qui aurait dû le rendre plus sensible que d’autres à ce principe. Or, très tôt, on vit qu’il n’en serait rien. Ayant lancé en 1929 la collectivisation forcée de l’agriculture, Staline se trouva rapidement confronté à une résistance générale, particulièrement forte là où la relation entre la paysannerie et le sentiment national était intense, en Ukraine.
En apparence, la vie culturelle juive battait son plein, et les Juifs ne croyaient pas devoir cacher leurs origines ; les autorités proclamaient qu’après avoir été persécutés sous l’ancien régime ils avaient maintenant accédé à l’entière égalité en droits et n’avaient pas à craindre brimades et discriminations. Le hic, c’est que le pouvoir voulait bien encourager la culture juive, mais seulement si, nationale de forme, elle était aussi socialiste de contenu.
Les gens de théâtre associaient le régime soviétique à Trotski et à d’autres qui étaient justement les pires ennemis de Staline. Rien que pour cette raison, tout en clamant haut et fort que l’antisémitisme était l’ennemi du pouvoir des soviets, il ne pouvait que communier en son for intérieur avec ceux qu’en public il vouait aux gémonies
« L’antisémitisme est particulièrement développé dans les milieux du théâtre […]. Dans aucun autre secteur de l’intelligentsia, on ne rencontre ce qui saute aux yeux un peu partout dans le monde du théâtre. Il n’est pas rare que chez les acteurs l’antisémitisme passe toutes les bornes. »
Même plusieurs décennies plus tard, la Loubianka protège ses agents.
Le tout est de savoir si la souffrance morale a un prix ou si, en un siècle de catastrophes sociales grandioses, elle n'en a aucune
Les meurtriers laissent des traces.