L'essai de Pierre Bourlier constitue au passage une critique de l'interprétation d'Orwell que propose depuis quelques années J. C. Michéa, à travers ses livres et prises de position (...) sa mise en avant de la common decency comme ultime "vertu populaire". Comme le montre Bourlier, la décence et la dignité des individus sont le produit du sens commun, c'est-à-dire non pas une vertu innée liée à une condition sociale (le "peuple", les "gens ordinaires") mais plutôt le produit d'une communauté de vie qui, certes, pouvait se rencontrer plus aisément chez les classes populaires, mais qui a pour l'essentiel aujourd'hui disparu, de même que les conditions qui permettaient son existence et sa perpétuation à travers la conscience de ses nécessités pratiques et de ses solidarités effectives. La critique de Michéa est donc certainement juste "philosophiquement" mais elle reste sans perspective pratique, sans autre point d'appui qu'une common decency mythifiée, transformée à son tour en abstraction intellectuelle, puisqu'il ne se soucie nullement d'élucider les conditions concrètes de sa production, contrairement à Orwell. (Éditorial)