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Payot - Marque Page - Anne-Lise Grobéty - Le temps des mots à voix basse
on était plus que des copains - de vrais amis de toujours - comme eux. Et on serait amis depuis le commencement des temps, comme les dix doigts de la main quand on serait grands. Comme eux.
Car, écrire, c'est inévitablement se souvenir, et il n'y a pas de souvenir qui se tienne coi, une fois pour toutes; tout souvenir avance au fur et à mesure du temps, par recoupement, chevauchement, glissement... N'importe quelle démarche de rappel du passé est d'abord une affaire de reconstruction tributaire de notre présent.
Même avec la meilleure volonté du monde.
Peut-être qu'on finira quand même par forcer le coeur des hommes avec la musique. En tout cas, ça vaut la peine d'essayer encore. Ou avec les mots, pourquoi pas, je ne suis pas borné à ce point ! Pourvu que le coeur s'entrouvre pour couver enfin un peu d'humanité.
Est-ce que tout a réellement commencé par la fureur allumée dans la pupille d'un seul homme? Et cette fureur, comment est-ce qu'elle a pu finir par mettre le feu à tout un peuple? Quand les mots se sont-ils mis à boire plus que de raison dans les rues, à tituber sur les trottoirs, à se tromper de colère?...
-Ah, ils sont beaux les mots qui sont prêts à couvrir les bruits de n'importe quels mensonges, de n'importe quelle folie !
Ils ont parlé pendant ce qui m'a semblé une éternité, à mi-voix.
Tantôt leurs chuchotements bruissaient comme le vent dans les buissons. Tantôt le souffle bouillant de leurs paroles montait davantage à l'assaut des oreilles.
Je ne comprenais pas tout, j'écoutais de tout mon être, j'absorbais.
C'était dans un pays de collines parfaites, au printemps. Dans le jardin de mon père, les fleurs des pommiers étaient écartées à point. Les abeilles prenaient leur service en bouquets serrés. A chaque décollage, je ne pouvais m'empêcher de frissonner...
Cher Heinzi, ami de toujours, avait écrit Anton, notre vieille amitié a été jetée au brasier de la folie des hommes mais quelle lumière elle offre en brûlant ! ... J'ai la certitude que nous n'avons pas vécu ensemble tout ce temps en vain... même si je comprends, hélas, aujourd'hui, que notre existence -que l'on choissse de fuir ou de rester- est aussi vulnérable que les fleurs de la vigne : un souffle de gel trop appuyé cette nuit et il n'y aura pas de fruits cette année...
Mais toi qui apprécie tellement la langue française, n'oublie jamais que dans le mot désespoir, on lit tout entier le mot espoir !
- Il est encore plus difficile pour moi depuis quelque temps d'accepter que dans toute graine d'humain le meilleur et le pire vivent ensemble comme un vieux couple désuni, et de continuer de croire que l'amour n'abandonne pas la partie pour autant, même quand la haine prend toute la place comme c'est le cas autour de nous maintenant...
Ce qui importe ce n'est pas les réponses que je pourrais vous donner mais les questions que vous vous posez.