Citations de André Maurois (304)
« Les mariages ne devraient durer que cinq ans et ne pourraient être renouvelés qu'avec une dispense, lorsque aucun enfant ne serait né pendant ce temps. » Il est assez remarquable que cette idée soit venue à l'arrière-grand-père de George Sand.
Quand la révolution de Mirabeau devint celle de Danton, Mme Dupin cessa d'applaudir.
L'homme projette ses questions sur l'écran du monde, qui les réfléchit sous forme de mythes. L'enfant a besoin de se sentir soutenu par une puissance magique. Aurore se créa donc un dieu familier, qui était toute douceur et toute bonté, et qu'elle appela Corambé. Elle lui éleva, dans le secret d'un taillis, un autel de mousses et de coquillages sur lequel elle venait, non point sacrifier, mais libérer des oiseaux et des scarabées. Seulement, pour les libérer, il fallait d'abord les prendre, ce qui les faisait souffrir. D'où l'on voit que le corambéisme, comme toutes les religions, avait ses mystères.
Le couvent lui parut, dans un univers cruel, une merveilleuse oasis. La maison était restée très anglaise ; les mères appartenaient toutes à cette nation, et Aurore prit, avec elles, l'habitude, qu'elle conserva, de parler anglais, de prendre du thé, et même de penser parfois anglais.
Elle ne pensait pas aux hommes. Au couvent, elle avait trouvé les jeunes filles divisées en trois groupes : les sages, pieuses et douces ; les diables, rebelles et amusantes ; entre les deux, les bêtes, masse inerte et fluide comme le marais des assemblées. La première année, « Dupin » fut un diable, mêlé à toutes les folles expéditions sur les toits et dans les caves [...]. Au début, on l'avait jugée apathique et silencieuse, « une eau qui dort ». Elle avait de sombres absences, qui tenaient à ses réflexions sur son étrange situation de famille. Mais l'expérience avait montré qu'elle jouissait de la gaieté des autres et que, dans les coups durs, elle était sûre, et même héroïque. On pouvait aller avec elle « chercher la victime » enfermée dans quelque souterrain, ce qui était le grand jeu romanesque du couvent.
Aurore Dupin ne se trouvait pas dans la situation de la plupart des jeunes filles de son temps qui, tourmentées à la fois par l'éveil de leur sens, par le besoin d'échapper à l'esclavage familial et par la crainte de la vie, appelaient ardemment le Prince Charmant qui les délivrerait, le maître qui les dirigerait. Elle régnait sur Nohant.
Elle gardera ce bon sens que donne le contact avec les réalités de la terre et du travail. La pensée trop libre n'avance pas, malgré ses efforts ; elle aurait besoin, comme l'oiseau, de la résistance du milieu. L'action révèle les limites que doit s'imposer l'esprit.
Essayons d'imaginer cette fille ardente et rêveuse, garçonnière et mystique, quand elle galope à travers les prairies, charmée par la succession des paysages, par la rencontre des troupeaux, par le doux bruit de l'eau qui clapote sous le pied des chevaux, ou le soir dans sa chambre quand, ayant allumé un fagot (car elle reste frileuse), elle regarde par la fenêtre les grands pins immobiles et la lune, presque à son plein, briller dans le ciel pur [...]. Sous son oreiller, elle cache des papiers, car elle commence à écrire.
Ce que le monde appelle scandale, disait-elle, n'est pas ce que le Christ eût appelé scandale.
Toute cette bande folle courait, au clair de lune, les routes, les forêts et les rues, réveillait les bourgeois, épiait les couples amoureux, ou entrait au bal des ouvriers pour y danser la bourrée. Parfois Aurore, tandis que Casimir ronflait, s'échappait de Nohant, la nuit, avec son frère, galopait jusqu'à La Châtre et allait chanter une romance sous la fenêtre de Dutheil. Ou bien elle partait à l'aube avec Néraud, qui était naturaliste, pour étudier les plantes, les minéraux, les insectes. Un automne fut consacré à l'étude des champignons, un autre à celle des mousses et lichens. L'ombre de Rousseau planait sur ce couple herborisant.
Elle était convaincue que, loin de La Châtre et de Nohant, il existait une société affable, élégante, éclairée, où les être doués de quelque mérite pouvaient trouver à échanger leurs sentiments et leurs idées. Elle aurait « fait dix lieues pour voir passer Balzac » ; elle admirait Hugo comme un dieu, mais ces grandeurs l'effrayaient tellement qu'elle n'avait même pas l'idée de faire un pas vers elles.
« Je me sens une énergie que je ne croyais pas avoir. L'âme se développe avec les évènements. » Le petit Sandeau fut fasciné par la beauté sauvage, le caractère exalté et autoritaire, les yeux noirs et brûlants, la taille souple de la châtelaine de Nohant [...]. « Je concentre mon existence aux objets de mes affections. Je m'en entoure comme d'un bataillon sacré qui fait peur aux idées noires et décourageantes... »
Pour comprendre Aurore Dudevant en 1830, et son besoin d'aventures sentimentales et spirituelles, il faut se représenter ce qu'étais alors, en France, l'effervescence intellectuelle. La Passion régnait. Comme autrefois la Raison, la Folie était déifiée. Les nouveaux poètes, les nouvelles doctrines philosophiques et sociales enivraient les jeunes. On se disait hugolâtre, saint-simonien, fouriériste avec délire. « ... l'âge classique avait tenu les tigres en cage. »
Bertrand Russel in History of Western Philosophy
C'était le temps où les plus graves saint-simoniens prêchaient la loi du plaisir, les grands artistes, les réformateurs enseignaient que la « phalange sacrée », tenue aux expériences hardies, doit mépriser les conventions bourgeoises. Cette jeune femme intelligente voulait suivre les meilleurs esprits de son temps.
Marie Dorval, actrice adorée des jeunes rebelles, créa l'Antony de Dumas, apologie de l'adultère et de la bâtardise. Ce fut « une agitation, un tumulte, une effervescence dont on se ferait difficilement une idée aujourd'hui ».
Elle avait vingt-sept ans et, malgré quelques malaises, une santé de fer. Quand elle était à Nohant, elle jardinait, galopait [...], soignait Maurice malade et trouvait encore le temps d'écrire « un brimborion littéraire et romantique, noir comme cinquante diables », avec conspirations, bourreaux, assassins, coups de poignard, agonies, râles, sang, jurons et malédictions.
Aurore aima le logis du quai Saint-Michel, dans les mansardes de la grande maison qui faisait le coin de la place. Trois pièces sur balcon, du ciel, de l'eau, de l'air, des hirondelles, Notre-Dame dans le lointain.
Lélia est une femme qui nie l'amour. Elle est belle, sublime, mais froide comme une statue. « Comment sortir de ce marbre, dit-elle, qui me monte jusqu'aux genoux et me retient enchaînée comme le sépulcre retient les morts ? »
Prosper Mérimée, grand ami de Sainte-Beuve, était, comme Henri Beyle, un de ces sentimentaux blessés dès l'enfance dont le diable fait ses Don Juan. Il se plaisait à parler de l'amour en technicien, avec une crudité de carabin [...]. Rencontrant cette jolie femme, bizarre, disponible, intelligente et célèbre, il entreprit d'ajouter un scalp à son collier.
Elle avait cru au monde des arts de la politesse et de l'éloquence [...]. Elle ne savait pas que le génie est toujours solitaire et qu'il n'existe pas de hiérarchie morale unaniment acceptée par les meilleurs. Elle avait pris pour des poètes tous les gens qui faisaient des vers. Deux ans de dure expérience lui avaient montré que les grands hommes ne sont pas des géants, « que le monde est pavé de brutes et que l'on ne peut faire un pas sans en faire crier une. »