Lémission « Relecture », par Hubert Juin, diffusée le 11 novembre 1984 sur France Culture. Invités : Jean Chouquet, Pierre Drachline et Françoise Caradec.
POÈME DU VICAIRE
On avait dit au vicaire tout à fait par hasard « Vous devriez faire de la poésie » et le vicaire avait composé un poème, entre autres, dont les deux premiers vers étaient :
J’aime la bonne soupe
Le soir après les vêpres
Il le montra au curé qui lui dit : « Pour la première fois, ce n’est pas mal cette histoire de soupe ; mais ça ne rime pas et ça n’a pas de rythme. À mon avis, si vous n’alliez pas si souvent à la ligne, ça serait de la prose. »
Et le vicaire concéda qu’il pourrait introduire quelque coupe. « Une coupe de vin ça n’est pas déplacé dans un bon repas et ça rime avec soupe. C’est ennuyeux pour les vêpres, dit-il, je ne vois que cèpes, mais il manque un r. Est-ce permis ? ou alors lèpres, mais comment introduire ce mot dans un morceau si joyeux ? »
« Voyez-vous, fit le curé, c’est là la difficulté de la poésie. »
Et le vicaire haussant les épaules conclut « C’est un genre faux », et n’en écrivit plus jamais d’autre.
****** PAS DE CLERC ******
Je n'ai pas vécu comme un bandit traqué
Non ! J'étais clerc d'huissier .
Et j'ai toujours vécu comme un bon clerc d'huissier
Entre deux autres clercs et entre deux dossiers .
Chaque soir en rentrant , je m'essuyais les pieds
Ainsi que doit le faire un parfait clerc d'Huissier .
Et quand je décidais un jour de me marier
J'épousais gravement la fille de l'huissier .
Et j'ai toujours aimé comme un doux clerc d'huissier
Chaque soir en rentrant de donner un baiser .
De cette union sacrée deux futurs clercs sont nés
Par un beau matin clair où naissent les huissiers .
Je n'ai pas vécu comme un bandit traqué
Non ! J'étais clerc d'huissier : faut-il le répéter ?
Et pourtant me voilà en terre à Pithiviers
Sous ce toit de cailloux où marchent les huissiers .
EXERCICES DE LOGIQUE
Un homme qui serait mort mais qui ne serait pas né
Un homme qui naîtrait près sa mort
Un homme qui mourrait en naissant mais qui ne
naîtrait pas en mourant
Un homme qui ne mourrait pas
Un homme qui naîtrait une fois sur deux
Un homme qui mourrait quelquefois
Un homme qui n’arrêterait pas de naître
Un homme qui ne finirait pas de mourir
Un homme qui naîtrait de sa belle mort
Un homme qui naîtrait au-dessous de la ceinture et
qui mourrait au-dessus
Un homme qui ne serait ni né ni mort
Cet homme-là n’est pas encore né..
LE LAC
(imité de Lamartine)
A Geo.
Je ne fais pas mystère de mon cra
S'il y a un cra je le montre
Il est permis de regarder toutes les faces
De ce cra-là.
D'un premier cra furent trois hisses
Et je ne fais pas mystère non plus de ces hisses
Qui peuvent être palpées
Et mêmes hissées (comme il se doit).
D'un hisse un cra fit deux clus
Et de deux clus un loc eut
Le loc devint lac
Mais lac quoi dire ?
L'enfant boudeur
Extrait 4
au frotteur de parquets champion de bridge plafond
au troume au solitaire à conazor
à la soutane à la peau de cochon au dieu
Frouda
à la turidité au hussard de
Bretagne à un
jeu polonais trouvé par
Sienkiewicz
au pouce-cul au solfège aux deux sœurs de
Barbaud
à mirer les alouettes à la morve au farcin
au mariage blanc au mariage vert à la guimauve
au jeu des gâteaux à madame
Room
à l'officier prussien à l'eukonaze au bugle
à l'enfant naturel au knout au saladier
—
Non, j'aime mieux étudier.
Ma mère était patriote. D'elle j'appris que l'Anglais est fourbe, l'Italien couard, l'Espagnol vindicatif, l'Américain puéril, le Belge bêta, le Hollandais lourd, le Grec voleur et joueur, le Serbe paillard, le Croate coléreux, le Turc méchant et brutal, l'Albanais vicieux, le Roumain chétif et sujet aux maladies honteuses, le Bulgare batailleur et provocant, le Hongrois faux, le Monténégrin lent, le Luxembourgeois vantard, le Monégasque futil, l'Alsacien (avant 1918) lâche et plein de morgue, le Portugais buveur, le Suisse goinfre, l'Autrichien frivole et guerrier, le Russe désordonné et ne pensant qu'à rire, l'Écossais lascif, l'Irlandais têtu et borné, le Danois intempérant, le Suédois sans coeur, le Norvégien incapable de s'exprimer avec clarté, le Finlandais pillard, le Letton froussard, l'Estonien tapageur, le Tchèque mauvais payeur, le Polonais sale, le Nègre abruti, l'Esquimau grossier et sensuel, quant au Boche, il réunissait amplifiés tous ces défauts et vices abominables.
Deux parallèles s'aimaient...Hélas!
Cyclisme
À Jean Carmet
L'archevêque était jaloux du curé. La curé avait une bicyclette. Parfois il roulait, lâchant son guidon pour lire son livre de messe. L'archevêque le voyait passer tout noir sur ses roues d'acier devant sa fenêtre, tantôt sifflant, tantôt souriant, grisé de vitesse. Il cornait avant le tournant. Quelquefois, si une oie barrait le chemin, il sonnait avec un timbre placé devant le frein.
Le soir, au retour, il croisait des camions lourdement chargés ou d'autres qu'il fallait dépasser, qui remontaient vers la ville. C'était le gros klaxon qui marchait, sur le côté droit du guidon, à côté de la petite trompe.
Quand il faisait beau sur la route le dimanche, les jeunes carmélites s'en revenaient par quatre ou cinq en chantant. Le curé les dépassait en les prévenant au moyen du grelot attaché sur la selle. Pour les encombrements, les foules, les obstacles imprévus, une sirène magnétique fixée au milieu du guidon communiquait à sa pédale de gauche.
Il avait d'autres accessoires de secours, des trompes marines, une sorte de petit cor qu'il portait sur l'épaule. Et même, sur la tête au-dessus de son chapeau rond, une grande batterie de cuivre avec deux mailloches feutrées, dont il ne se servait que très rarement, très rarement, pour faire envie à l'archevêque.
Il y a de la profondeur cachée …
Il y a de la profondeur cachée dans mon langage. Je parle ne
sachant ce que je vais dire et les mots s’assemblent en oracle. Du
moins, on me le dit. Si je parle longtemps, je bâtis un monde, où
je me perds. Il me faut de patients amis pour m’expliquer. C’est
donc qu’entre ma parole et ce qui l’anime il y a quelque chose
que j’ignore. Peut-être quelqu’un. Je ne crois pas porter de dieu.
Je voudrais dire quelque chose d’indifférent, une broutille. Je n’y
parviens pas. Toujours une lumière au fond de mon puits, une fleur
dans mon désert.
Pour tout ce que je dis, mes amis trouvent des excuses. Il me vient
alors des envies de gâter le miracle. Je parle de mes bretelles. Eh bien !
ce n’est pas encore futile. Pas du tout.
- Et les femmes coquettes qui ont toujours un sein de trop à faire briller en société, ça m'horripile...
- Te monte pas, mon vieux, te monte pas...
- Les femmes, c'est des chameaux. C'est fait pour être bête, c'est fait pour rien faire, et c'est fait pour taire sa gueule.